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Réflexions sur le port du masque dans les espaces publics ouverts

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« Le monde est un grand bal où chacun est masqué » disait Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues.

Bien que né au 18ème siècle cet auteur n’eût pas cru si bien dire lorsque l’on voit aujourd’hui tous les débats que le port du masque peut provoquer.

Jugé initialement inutile voire complexe à porter selon les propos de l’ancienne porte-parole du gouvernement le 4 mars 2020[1], aujourd’hui, il est rendu obligatoire dans de nombreux lieux publics clos et dorénavant dans les espaces publics ouverts.

Il y a eu un véritable changement de paradigme qui tranche radicalement avec le discours des autorités qui indiquait, dans un contexte de pénurie de masques, qu’il était destiné aux soignants et aux malades et « inutile pour toute personne dans la rue » selon les mots du Directeur Général de la Santé, Jérôme Salomon[2].

Le port du masque est justifié pour protéger la santé publique et indirectement mais nécessairement, le droit à la vie.

Le droit à la vie est un droit fondamental, un droit intangible, qui conditionne l’existence et l’exercice de tous les autres droits fondamentaux. Pour autant, il n’existe pas de hiérarchie dans les droits fondamentaux.

Protégé par des normes internationales comme l’article 2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, à ce titre, l’État doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction.

  • Cour EDH 17 Juillet 2014 Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpean c. Roumanie n°47848/08 §130 ;

Toutefois, il ne faut pas qu’une application absolutiste du droit à la vie conduise à dénier l’existence et l’exercice de tous les autres droits.

En effet, au nom du droit à la vie et de la protection de la santé publique, l’Etat français a choisi une réponse sécuritaire conduisant à ce que l’on pourrait appeler un « hygiénisme sanitaire ». Au nom de cet hygiénisme, le pouvoir exécutif a cherché à se convaincre que la seule manière de lutter contre cette maladie serait les interdictions et les contraventions, là où soins, protections et médicaments auraient été plus appropriés.

A vouloir empêcher quiconque de mourir d’une infection au covid-19, c’est le droit à la vie et à toutes les libertés que ce droit procure qui a été malmené depuis le 14 mars 2020.

Le conseil scientifique lui-même, dans son avis du 12 mars 2020 ne préconisait pas de port généralisé du masque[3].

Dans une ordonnance du 28 mars 2020, le Conseil d’Etat reconnaissait que la France ne disposait pas de suffisamment de masques pour protéger ses personnels soignants et les personnes hospitalisées mais qu’une augmentation progressive du stock se ferait durant les prochaines semaines.

  • Conseil d’Etat  28 mars 2020 n° 439693 ;

D’une manière générale, il n’a toutefois jamais été contesté que le port du masque s’inscrivait dans le cadre d’un ensemble de mesures anti-infectieuses propres à limiter la propagation de certaines affections respiratoires virales, dont la COVID-19 fait partie.

Le masque permet de protéger une personne en bonne santé afin qu’elle ne soit pas contaminée, mais également une personne contaminée afin qu’elle ne puisse pas le transmettre.

L’évolution de la législation s’est faite au regard de l’évolution des données et des connaissances scientifiques.

Ainsi, le ministre des solidarités et de la santé indique que « des incertitudes demeurent sur la transmission du virus dans l’air, qui a fait l’objet le 6 juillet 2020 d’une lettre à l’OMS signée par 239 scientifiques issus de 32 pays, qui ont notamment fait part de leurs observations sur la fréquence des contaminations et des clusters en milieu clos, particulièrement en cas de brassage d’air, et même en l’absence de projection directe[4] ».

Toutefois, et alors, qu’aucun consensus scientifique sur la question de l’efficacité du port du masque dans l’espace public ouvert n’existe, depuis plusieurs semaines les Préfets dans le cadre des départements imposent le port du masque dans l’espace public ouvert.

A l’heure où ces quelques lignes sont écrites, il est même envisagé que cette obligation soit généralisée sur l’ensemble du territoire.

Pourtant plusieurs arguments devraient conduire à ce que cette mesure soit mise en œuvre avec une très grande parcimonie.

Ces mesures sont contestées par le cabinet à Montpellier et ont donné lieu à plusieurs interviews.

Nous profiterons de cet article écrit afin de compléter ce que nous avons pu évoquer dans les médias et éclairer le débat sur le fond.

  • La prise en compte trompeuse du seul critère de la contagiosité du virus :

Tout d’abord, ces arrêtés préfectoraux partent du postulat que l’augmentation du nombre de contamination justifierait à elle seule l’obligation du port du masque dans les espaces publics ouverts.

Cependant, les atteintes aux libertés fondamentales ne sont légales que si elles sont proportionnées au risque qu’elles combattent et qu’elles permettent d’atteindre le but légitime qu’elles se sont fixées.

En l’espèce, l’ensemble des mesures restrictives de libertés ayant conduit à l’instauration du confinement étaient justifiées par le nombre important de personnes décédés du covid-19, de personnes en réanimation et de la saturation des services hospitaliers.

Ainsi, il avait pu être jugé par le Conseil d’Etat que « 7. Toutefois, compte tenu d’une part, des circonstances exceptionnelles qui ont conduit le législateur à déclarer l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois et aux vues desquelles les dispositions contestées ont été prises, et d’autre part, de l’intérêt public qui s’attache à l’exécution des mesures dites de confinement jusqu’au 11 mai 2020, dans le contexte actuel de saturation des structures hospitalières, la condition d’urgence requise par l’article L. 521-1 du code de justice administrative ne saurait être regardée comme remplie ».

  • Conseil d’État  20 avril 2020 n°440119

L’augmentation du nombre de personnes contaminées ne permet pas à lui seul de justifier les atteintes qui sont portées aux libertés fondamentales des français dès lors que le nombre de contamination dépend :

  • Du nombre de tests réalisés ;
  • De l’augmentation des interactions sociales ;
  • Du caractère urbain ou rural de la zone géographique ;
  • Du respect des mesures barrières ;

Surtout, si l’on se penche sur les bulletins d’informations réguliers transmis par les agences régionales de santé dans chaque région, l’analyse sur le plan local du nombre de personnes en hospitalisation ou en réanimation fait ressortir des chiffres extrêmement faibles et tout état de cause, sans aucune commune mesure avec ceux de mars et avril 2020.

Pourtant, alors qu’au plus fort de la crise, le gouvernement refusait que les masques soient vendus au grand public et indiquait que le masque était inutile, aujourd’hui celui-ci se retrouve imposé comme s’il était la réponse à tout.

En conséquence, ce postulat erroné donne lieu à des mesures restrictives de liberté qui peuvent apparaitre injustifiées et disproportionnées.

  • La prise en compte de la fréquentation des lieux publics :

Les préfets de département ont justifié la mise en place d’une telle obligation par la fréquentation de certains lieux publics notamment dans les zones touristiques.

Or, il est faux de considérer que ces mêmes lieux sont fréquentés de la même manière à toute heure de la journée et à n’importe quel jour de la semaine.

Ainsi, qui pourra arguer de l’utilité d’un masque dans l’espace public ouvert à 3h du matin dans le centre-ville désert d’une métropole un dimanche soir ?

Dans ces conditions dès lors qu’il est possible de faire aussi bien voire mieux pour la protection des populations avec des mesures moins restrictives de liberté, alors ce sont ces dernières qui doivent primer.

  • Conseil d’Etat 18 mai 1933 Benjamin ;

Dans une démocratie digne de ce nom, la liberté doit rester le principe et l’interdiction, l’exception. Ce principe doit être rappelé avec encore plus de vigueur alors que l’état d’urgence sanitaire a pris fin.

  • L’absence de prise en charge du coût de la mesure :

Outre la question de la multiplication par dix du coût du masque depuis le mois de mars 2020, ces mesures d’obligation du port généralisé du masque n’ont pas été suivies d’une prise en charge financière pour les foyers les plus modestes.

Il ressort de l’ensemble des études scientifiques qu’un masque doit régulièrement être changé afin d’éviter le risque d’auto contamination.

Il s’ensuit qu’il est nécessaire de disposer de plusieurs masques. Dès lors que le prix d’un masque a été multiplié par 10 depuis le confinement, le coût de cette nouvelle mesure représente un budget non négligeable pour les publics défavorisés mais y compris pour les classes moyennes.

Quel que soit le calcul opéré, et quel que soit le montant sur lequel chacun pourra s’arrêter, il convient d’avoir à l’esprit que les personnes socialement défavorisées sont celles qui au 1er de chaque mois se retrouvent déjà en négatif sur leur compte bancaire. Ce sont les mêmes qui se retrouvent à compter chaque mois le moindre euro afin d’ajuster au plus près leur budget.

On pense aux minimas sociaux mais on ne peut oublier les classes sociales moyennes qui vivaient déjà à crédit, qui durant la pandémie ont perdu un pouvoir d’achat et à qui maintenant on impose de se fournir à leurs frais en masques.

Pour faire face à ce coût, les populations remettront le même masque ce qui pourra conduire à des risques d’auto contamination. Ainsi le remède proposé devient pire que le mal !

Dès lors que cette obligation implique un coût important, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de prendre en compte ces effets. A défaut, la mesure devient disproportionnée et exclu du dispositif de protection une partie de la population.

  • La faible efficacité du port du masque grand public :

Le masque grand public ne protège pas les personnes infectées par le virus. Cette information est présente sur le site du gouvernement[5] :

Il s’ensuit que cette mesure donnera le sentiment aux populations d’être protégés alors qu’en réalité elles ne le seront pas. De plus, psychologiquement, le port du masque peut conduire les populations à réduire le respect des gestes barrières ce qui rendra contre-productif la mesure imposée.

En conclusion, les recours engagés à l’encontre de ces arrêtés préfectoraux ne sont pas un procès fait au port du masque d’une manière générale mais plutôt un procès aux excès des mesures sanitaires. Cette course à l’échalote dans laquelle les préfets et les maires se sont engagés pour démontrer aux populations qu’ils étaient les mieux disant en matière de protection des populations, s’avère dangereux pour les libertés fondamentales. Il est du devoir de chaque citoyen de discuter de l’utilité, de la pertinence et de la proportionnalité de chaque mesure sanitaire chaque fois qu’elle revient à réduire une ou des libertés publiques. A défaut, comme disait Rabelais, science sans conscience, n’est que ruine de l’âme.


[1] https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200408.OBS27255/sibeth-ndiaye-regardez-comme-c-est-facile-de-placer-un-masque

[2] https://www.marianne.net/politique/du-rire-de-sibeth-ndiaye-la-panique-d-agnes-pannier-runacher-le-180deg-du-gouvernement

[3] https://www.vie-publique.fr/rapport/273939-avis-du-conseil-scientifique-covid-19-du-12-mars-2020

[4] https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/maladies/maladies-infectieuses/coronavirus/tout-savoir-sur-la-covid-19/article/port-du-masque-grand-public-obligatoire-en-lieux-clos-faq

[5] https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/masques-grand-public