Face à la crise en Nouvelle Calédonie, la responsabilité de l’Etat est en cause, ouvrant des actions possibles aux victimes. Depuis le 13 mai 2024 et jusqu’au 28 mai 2024, l‘état d’urgence était déclaré sur l’archipel. Il s’agissait de maintenir l’ordre public, mis à mal par des exactions de groupes armés.
La Nouvelle Calédonie fait face à une crise indépendantiste qui ne semble pas trouver de fin. En mai 2024, c’est la mort de plusieurs personnes dont le jeune Jybril qui a mis le feu à la poudrière.
Cependant, d’autres forces internationales pourraient également être à l’œuvre afin de pousser le mouvement indépendantiste à la révolte. Cela a conduit notamment à un blocage de l’application TikTok. En effet, la Nouvelle Calédonie constitue un atout géostratégique pour la France.
Quelles que soient les causes à cette crise, la France métropolitaine ne les a pas vues venir.
Ainsi, des milliers de personnes se retrouvent encore à l’heure actuelle (septembre 2024) en proie à l’insécurité et l’instabilité de l’île. C’est dans ce contexte que la question de la responsabilité de l’Etat se pose.
En effet, depuis 2004 un choix de société a été fait ; celui de la « sociabilisation du risque ». Aux termes de ce rapport du Conseil d’Etat, il est décidé que la fatalité n’avait pas sa place dans notre société. Tout risque doit pouvoir être indemnisé. En revanche les conditions diffèrent selon la nature du risque. Il s’agit de trouver un équilibre entre la protection des deniers publics et celles des victimes.
La situation en Nouvelle Calédonie donne lieu à un droit à indemnisation pour les victimes.
Qui est responsable des exactions en Nouvelle Calédonie ?
Tout d’abord, pour déterminer à qui incombe la responsabilité, rappelons que la Nouvelle Calédonie bénéficie d’un statut particulier. Territoire d’outre mer, elle dispose d’une autonomie très large. Cette situation résulte d’un long processus historique donnant lieu à des combats politiques entre les loyalistes et les indépendantistes.
Depuis les accords de Nouméa en 1998, trois référendums portant sur l’indépendance ont eu lieu, en 2018, en 2020 puis en 2021. Dans les trois référendums, le Non à l’indépendance l’emporte.
Une répartition des compétences existent entre l’Etat et la Nouvelle Calédonie, collectivité territoriale. Ainsi l’Etat a pour fonction le maintien de l’ordre et la défense nationale.
Les évènements se déroulant sur l’archipel depuis le 13 mai 2024, date de la déclaration de l’Etat d’urgence résulte d’une atteinte à la sécurité et au maintien de l’ordre.
Quelles fautes commises par l’Etat en Nouvelle Calédonie ?
L’Etat a commis plusieurs fautes dans le cadre de ces évènements.
La carence fautive de l’Etat :
Tout d’abord, l’Etat n’a pas été en mesure de prévenir les troubles à l’ordre public. Ces faits ont conduit à mettre à feu et à sang une énorme partie de l’île. Ces faits auraient pu être anticipés avec un vrai travail des services secrets.
En effet, de tels soulèvements ne peuvent spontanément avoir lieu. Une certaine coordination et anticipation est indispensable pour que plusieurs lieux simultanés soient attaqués.
En outre, l’arrivée de renforts provenant de la métropole a été tardif. En effet, il aura fallu plus d’une semaine pour que des renforts soient acheminés en Nouvelle Calédonie. De plus, leur arrivée n’a pas signifié immédiatement la reprise du contrôle de tout le territoire. A l’heure actuelle, de nombreux barrages sont encore en place. Les forces de l’ordre sont en nombre insuffisants et la situation est loin d’être sous contrôle.
Les fautes commises par l’Etat :
A l’heure actuelle, l’Etat français n’a pas repris le contrôle de toute l’ile. Surtout, des milices armées indépendantistes continuent de se livrer à des exactions sur l’ensemble du territoire Calédonien.
En septembre 2024, de nombreuses mesures restrictives continuent d’être appliquées.
- Couvre-feu à partir de 18h et jusqu’à 6h, le lendemain matin
- Interdiction de rassemblement
- Interdiction de transport d’armes et de port d’armes
- Interdiction de la vente d’alcool
En outre, la sécurité n’est pas encore revenue et les milices ne sont pas neutralisées.
Quelles responsabilités pour l’Etat ?
Plusieurs régimes de responsabilité sont possibles.
Tout d’abord, la responsabilité légale du fait des attroupements ou des émeutes ; la responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques ; et la responsabilité pour faute.
Concernant la responsabilité pour faute, elle n’appelle pas de remarques complémentaires. Il conviendra de démontrer une faute, un préjudice et un lien de causalité. Nous venons de préciser les fautes pouvant être reprochés à l’Etat.
Ensuite, la responsabilité du fait des émeutes, la responsabilité de l’État peut être engagée pour indemniser les victimes de dommages causés lors d’émeutes. Ce régime, ne contraint pas les victimes à démontrer l’existence d’une faute de l’État pour être indemnisées. Ce régime s’applique en vertu de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure. Nous vous renvoyons à notre article sur le sujet.
Enfin, la responsabilité sans faute de l’Etat pour rupture d’égalité devant les charges publiques implique la démonstration d’un préjudice d’une certaine gravité.
Le régime de responsabilité sans faute de l’État trouve son origine dans l’arrêt Couitéas de 1923. M. Couitéas, propriétaire d’un terrain en Tunisie, a obtenu légalement l’expulsion d’occupants illégaux, mais le gouvernement a refusé d’intervenir par crainte d’émeutes. Bien que le refus de l’administration soit légal pour des raisons de sécurité, M. Couitéas a obtenu réparation, car son préjudice était jugé « anormal et spécial ».
Cet arrêt important établit que l’administration doit indemniser les citoyens pour des dommages disproportionnés, même si son action est justifiée par l’intérêt général.
Nous renvoyons pour plus d’informations à notre article sur ce sujet.
Ici la faute de l’Etat est indifférente. La preuve de la gravité des préjudices prévaut sur tout.
Quels préjudices peuvent être indemnisés ?
Tous les préjudices causés par les évènements résultant de la situation calédonienne peuvent conduire à une indemnisation. Ils sont de plusieurs ordres :
- perte financière ; tous les frais exposés pour faire face à cette crise ;
- perte d’un emploi ;
- perte de valeur d’un bien immobilier ;
- préjudices matériels ; destructions de biens par exemple ;
- préjudice de troubles dans les conditions d’existence ; ce sont toutes les conséquences résultant d’un changement de vie ;
- préjudice moral ; la peur de mourir à chaque instant ;
Tous ces préjudices doivent être prouvés et conduisent à une indemnisation de la part de l’Etat. Pour engager une telle action il convient de solliciter les services d’un avocat et de saisir le juge administratif.
En réalité, les victimes sont face à un choix ; soit celui de mettre l’Etat face à ses responsabilités, soit d’accepter et subir la fatalité sur leurs propres deniers.