« Je n’ai pas eu le droit de revoir mon Père, alors qu’il me réclamait à cor et à cri » pouvait-on lire dans le figaro lorsque Stéphanie Bataille parla de la terrible épreuve qu’elle traversa durant le mois de mars 2020, privé de la possibilité de revoir une dernière fois un être cher[1].

Elle parlait au nom de toutes ces personnes, qui moins connu, n’ont pas bénéficié du même engouement médiatique, mais qui partageait avec cette dernière la même douleur.

[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/stephanie-bataille-je-n-ai-pas-eu-le-droit-de-revoir-mon-pere-alors-qu-il-me-reclamait-a-cor-et-a-cri-20210125

I- la génèse de l’affaire:

Le cabinet de Maître David GUYON est intervenu. En tant qu’avocat, il a porté la voix de ceux qui, dans ces temps troublaient, n’en avait plus.

Pendant la crise sanitaire, des milliers de français sont morts seuls, sans soins et sans adieux. Le Conseil d’Etat a reconnu dans une décision du 22 décembre 2020 le caractère disproportionné de la mise en bière immédiate. Vous trouverez ci joint la décision obtenue.

Rappelons concrètement à quoi correspond la mise en bière immédiate. C’est l’opération qu’effectuent les pompes funèbres en plaçant le corps d’un défunt dans son cercueil, avant sa fermeture puis la levée du corps.

Par un décret du 1er avril 2020, l’article 12-5 du décret du 23 mars 2020 a instauré la mise en bière immédiate des personnes décédées durant la crise sanitaire. Cette obligation était prévue jusqu’au 30 avril 2020. Ce texte a reçu application bien après cette date.

Il convient d’indiquer, qu’avant ce décret et depuis le début officiel de la pandémie, la pratique hospitalière conduisait de facto à des mises en bière immédiates. Les corps de personnes décédées, durant la crise sanitaire, étaient placés dans des bâches en plastique. Puis, leurs corps étaient déposés immédiatement dans des cercueils. Enfin, ces cercueils étaient fermés hermétiquement. Seuls les cercueils étaient présentés aux proches souhaitant se recueillir. Ceux qui étaient pour une cérémonie funéraire n’avait donc que peu de réconfort. Espérons que les cercueils présentés étaient bien ceux de leurs proches.

La pratique de la toilette mortuaire était interdite pour ces défunts. Dans ces conditions la mise en bière immédiate était susceptible d’entraîner l’impossibilité pour les proches de personnes décédées de voir une toute dernière fois, l’être cher perdu.

Aux termes d’un recours de citoyens introduit au courant du mois de mars, plusieurs clients du cabinet ont contesté les mesures prises dans le cadre de la lutte sanitaire. En son temps, nous avions tenté de médiatiser cette affaire.

L’une de ces personnes avait eu le malheur de perdre son père le 26 mars 2020.

II- La procédure engagée par les requérants:

Tout d’abord, ces requérants avaient demandé, dans l’urgence par la voie du référé liberté, à ce que cette pratique cesse. Le Conseil d’Etat dans une décision du 4 avril 2020 estimait que la demande n’était pas assortie des éléments suffisants pour démontrer une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie privée et familiale, dont on peut déduire un droit à faire le deuil.

Pourtant, dès le 24 mars 2020 le haut conseil de la santé publique invalidait cette pratique. Il avait estimé, dans un avis, que, dans la prise en charge des personnes décédées par l’infection SARS-Cov-2, il convenait « de respecter la stricte observance des règles d’hygiène et de mesures de distance physique, mais aussi de respecter dans leur diversité les pratiques culturelles et sociales autour du corps d’une personne décédée, notamment en ce qui concerne la toilette rituelle du corps par les personnes désignées par les proches, ainsi que la possibilité pour ceux-ci de voir la personne décédée avant la fermeture définitive du cercueil ».

Le 30 novembre 2020, le Haut Conseil de la Santé publique confirmait sa position et rappelait que « En effet, si le respect des précautions standard et complémentaires et des mesures organisationnelles sont à même de maîtriser le risque infectieux, l’impossibilité de voir le corps du défunt dans un délai de 24h pourrait avoir de graves conséquences psycho-sociales sur le deuil des proches[1] ».

Ensuite, par un recours pour excès de pouvoir les requérants ont demandé l’annulation des dispositions règlementaires mettant en place la « mise en bière immédiate ». Ils ont eu gain de cause le 22 décembre 2020.

III- Victoire devant le Conseil d’Etat:

Plusieurs conséquences sont à tirées de cette décision.

La première, le confinement et toutes les mesures restrictives de libertés sont légales.

La deuxième, il est possible de gagner face à l’Etat.

La troisième, l’Etat peut prendre des mesures disproportionnées dans l’urgence. L’urgence n’est jamais bonne conseillère.

La quatrième, la mise en bière immédiate est un outil qui ne devrait plus être utilisé à l’avenir en cas de nouvelle crise sanitaire.

La cinquième, les victimes indirectes, celles qui sont encore là, peuvent obtenir réparation du préjudice causé par l’illégalité des dispositions annulées.

Même si l’argent ne réparera jamais la douleur causée par l’impossibilité de faire son deuil, elle peut constituer un moindre réconfort en vue de retrouver une vie normale.

IV- L’absence critiquable de médiatisation:

Il est regrettable que cette décision, n’ait fait l’objet d’aucune médiatisation. Le Conseil d’Etat lui même n’a pas communiqué sur son site. Pourtant, une telle validation de mesures aussi liberticides aurait mérité quelques lignes sur le site.

Surtout, cette décision a conduit à une modification de la pratique de la mise en bière. Par un décret du 21 janvier 2021[2], le gouvernement a changé les dispositions prévoyant une mise en bière immédiate.

Malheureusement, il est détestable que la presse ait relayé cette information sous un faux jour[3].

En effet, mettre sur le dos de l’intervention médiatique de Stéphanie Bataille l’évolution du cadre juridique, c’est mépriser ceux qui ont été à l’initiative de ce changement. C’est mépriser ceux qui se sont battus en justice pour cela. Egalement, c’est faire croire que « l’émotion » serait une norme supra juridique. Une norme qui permettrait l’évolution du droit, occultant complètement que celle-ci passe surtout par la contestation en justice.

Quoi qu’il en soit, ces critiques ne ramèneront pas les morts auprès de leurs proches. A défaut de pouvoir effacer la douleur ressentie, nous pourrons nous réjouir que cet état du droit ait évolué.

Qu’il s’agisse d’une personne médiatisée ou de parfait inconnu, il convient de ne pas oublier ceux qui ont disparus mais également la nécessité pour les proches d’effectuer leur deuil.

Après la mort, la vie, et avec elle tous les plaisirs qui l’accompagnent.

[1] https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=957

[2] Décret n° 2021-51 du 21 janvier 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire

[3] https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/18/covid-19-les-regles-de-prise-en-charge-des-corps-des-defunts-ont-ete-assouplies_6070466_3244.html?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR3VKC4ajPWnganU8SIjLnQFiPRvyjj37iKjgCcrx3-LWVJ1iQU1kvvXVsA#Echobox=1613685422