« Le vrai secours aux misérables, c’est l’abolition de la misère » disait Victor Hugo, écrivain français du 19ème siècle.
Force est de croire que plusieurs siècles après avoir écrit ces mots, la misère est omniprésente et conduit certaines malheureux à occuper des biens insalubres afin de survivre.
La décision du squat du chai Skalli à Sète est l’occasion de revenir sur les principes juridiques qui donnent lieu à des décisions que les citoyens peuvent trouver iniques.
Revenons rapidement sur le contexte de cette affaire. Le tribunal judiciaire de Sète a rendu son délibéré le vendredi 29 janvier 2021 au sujet d’une demande d’expulsion d’une quarantaine d’occupant sans droit ni titre d’un ancien chai dit chai Skalli. Pour rappel, un chai est un lieu où se déroule la vinification.
Ce chai désaffecté depuis plusieurs années a conduit des personnes sans domicile fixe à prendre possession des lieux depuis bientôt plus de deux années. La mairie, responsable de l’ordre public, et l’Etat, propriétaire des lieux, sont intervenus en qualité de demandeur afin de faire cesser cette occupation illégale.
Le juge a décidé d’ordonner l’expulsion et a accordé un délai de 13 mois aux occupants pour s’exécuter…
La situation précaire des occupants sans droit ni titre légitime-t-elle l’atteinte au droit de propriété de l’Etat ?
En l’espèce, il est indiscutable que l’occupation sans droit ni titre d’un bâtiment appartenant à l’Etat est illégale. En 1998 Jean Louis Bergel, professeur de droit contemporain, écrivait au sujet d’une décision faisant droit à la demande d’expulsion d’un propriétaire « C’est le mal de cette fin de siècle, ou l’un de ses maux… Mais la misère n’excuse pas tout. Le droit au logement ne saurait légitimer des voies de fait. Le respect des droits d’autrui doit prévaloir sur des occupations illicites. Ce n’est pas en méconnaissant les droits des uns que l’on protège les autres[1] ».
La décision peut laisser pantois. D’un côté la question du droit de propriété (I), de l’autre, la protection de ce public vulnérable (II). Par cette décision mi-figue mi-raisin, le juge rend une décision qui ne satisfait personne.
I- La nécessaire protection d’un droit fondamental :
Le droit de propriété constitue un des fondements de la société française. Il est protégé à l’article 544 du code civil est un droit fondamental dans notre société. C’est pourquoi il bénéficie d’une protection supérieure. En effet, c’est un droit constitutionnel (article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen) mais également un droit reconnu par les conventions internationales (article 1er du protocole additionnel n°1). rappelons que la propriété des personnes publiques bénéficie d’une protection identique à celle des personnes privées.
- Conseil Constitutionnel 26 juin 1986 n°86-207 DC ;
Le droit de propriété comprend le droit d’utiliser, de jouir, et de disposer de son bien.
- Conseil d’Etat 3 janvier 2003 n°253001 ;
C’est ce qu’on appelle d’une manière plus savante, l’usus, le fructus et l’abusus.
Ce droit n’est pas absolu et peut être restreint pour protéger des droits d’égales valeurs. Il en est ainsi du droit à la vie privée et familiale qui protège le domicile, mais encore du droit au logement opposable ou encore la poursuite d’un intérêt général qui peut conduire à une expropriation pour cause d’utilité publique (article 545 du code civil).
Les personnes publiques, comme l’Etat, peuvent être propriétaires. Soit il s’agit d’une propriété publique, soit d’une propriété privée. Sans entrer dans la technique juridique, il ressort des faits de cette affaire que le bien relevait de la propriété privée de l’Etat. A défaut, seul le juge administratif aurait été compétent. En effet, Il appartient au juge administratif de connaître des demandes aux fins d’expulsion des occupants sans titre du domaine public.
- Conseil d’Etat 18 octobre 2017, Crous de Paris n°408006 ;
Le droit de propriété commence dans chacune des choses qu’un individu possède. La protection de ce droit protège ainsi la propriété des citoyens les plus pauvres qui ont chèrement acquis leurs biens à la sueur de leur front et de leur travail mais également de puissantes multinationales. La loi est donc la même pour tous.
Ainsi ce droit ne devrait pas varier selon la situation de précarité des individus mais uniquement au regard de la conciliation de droits consacrés par la loi et poursuivant un intérêt légitime.
C’est en ce sens que la Cour d’Appel de Paris avait jugé en 1997 en indiquant « la situation difficile des occupants et leur légitime demande d’un logement décent ne justifient pas l’atteinte portée à la propriété d’autrui. Une occupation illégale utilisée comme moyen de pression ne peut constituer un procédé licite pour mettre en œuvre le droit au logement réclamé par les occupants, alors que la loi en fixe les modalités d’exercice ».
- Cour d’Appel Paris 17 octobre 1997 n°RG 97-20228 ;
Une situation illégale ne devrait jamais pouvoir donner lieu à l’acquisition d’un droit sauf à vouloir encourager la violation des règles fondant nos sociétés. Ce serait rompre ainsi le contrat social et cela est inacceptable.
Ainsi, que les biens en cause soient inoccupés ou qu’aucun projet de réhabilitation ne soit mené est un autre débat qui ne doit pas venir amoindrir le droit de propriété.
II- La nécessaire conciliation du droit de propriété avec la précarité des occupants :
Dans un pays aussi riche que la France, la circonstance que certaines personnes puissent être privées d’un toit est quelque chose d’inacceptable. Cela est d’autant plus prégnant que la crise sanitaire a su montrer que lorsque l’Etat mettait les moyens, toute personne ne disposant pas d’un logement pouvait, durant le confinement, se trouvait loger[2].
Face au droit de propriété de l’Etat, les occupants sans titre se prévalaient du droit au logement opposable.
La loi no 2007-290 du 5 mars 2007 a consacré un tel droit « à un logement décent et indépendant » au bénéfice de « toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d’État, n’est pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir » (art. L. 300-1 du code de la construction et de l’habitation).
Cependant ce droit n’est pas opposable aux personnes publiques ni aux personnes privées. Seuls les organismes d’HLM sont soumis à cette obligation. Ainsi cet argument juridique était inopérant.
La circonstance également que ces personnes soient en mesure de disposer de revenus suffisants pour s’acquitter mensuellement d’un loyer est également sans incidence sur l’illégalité de la situation.
Point de salut lorsque l’on se trouve être un occupant sans titre !
De même en s’introduisant dans un bien inoccupé les squatters ne commettent pas de violation de domicile (infraction réprimée à l’article 226-4 du code pénal)[3]. Cependant, entré de manière illégitime ils ne bénéficient pas de la trêve hivernale.
On peut se demander si l’article 8 de la Convention EDH serait d’un quelconque secours pour échapper à une expulsion. S’il est certain qu’un tel droit doit pouvoir prévenir les décisions qui auraient des conséquences excessivement graves elle ne saurait servir de justification à la méconnaissance du droit de propriété de manière durable.
En réalité, dans une telle situation, c’est davantage l’humanité qui doit prévaloir. C’est ce dont a fait preuve le juge en décidant d’accorder 13 mois à ces derniers. Paradoxalement, les squatters bénéficient d’un régime plus favorable qu’un occupant légitime qui menaçait d’expulsion serait protégé par la trêve hivernale, laquelle joue uniquement entre le 1er novembre et le 31 mars. Entre ces deux dates, il n’existe pas un délai de treize mois.
Cette décision bien que marquée par l’humanité des juges est révélatrice d’un problème plus profond.
En effet, l’Etat « incapable » d’apporter des solutions concrètes aux plus démunis renvoie la tâche aux magistrats de ménager les intérêts de toutes les parties. Cette solution n’est pas souhaitable. En considérant que le droit de propriété peut être atteint sur une durée aussi longue, il favorise le maintien de ces mêmes personnes dans ces conditions indignes. Une telle solution ne renvoie pas aux personnes publiques le soin de prendre les décisions qui s’imposent.
Pendant ces treize mois de répit, on ne parlera plus des squatters du chai Skalli à Sète et c’est peut-être cela le véritable problème. Cette solution n’aura pas aboli la misère et encore moins portée secours durablement aux misérables.
[1] Le droit au logement ne saurait légitimer les voies de fait – Jean-Louis Bergel – RDI 1998. 70
[2] Conseil d’Etat 2 avril 2000 n°439763 ;
[3] Cour de Cassation Chambre criminelle 22 janvier 1997 n°95-81.186 ;