La question prioritaire de constitutionnalité est une anomalie juridique. Une anomalie car elle rompt avec la tradition constitutionnelle. Cette anomalie est bienvenue pour la défense des libertés fondamentales.
Affirmer que la Constitution est au sommet de la hiérarchie des normes, c’est bien. Faire en sorte qu’elle le soit effectivement c’est mieux.
C’est la raison pour laquelle en France il existe un Conseil Constitutionnel, qui constitue la juridiction unique chargée de contrôler la constitutionnalité des lois. Une juridiction unique afin de garantir le principe de la hiérarchie des normes et la cohérence de l’ordre juridique.
Traditionnellement seul un contrôle a priori existe. Il s’agit d’un contrôle de la constitutionnalité de la loi. Il s’exerce après le vote de l’acte juridique et avant sa promulgation qui lui donnera la qualité de « loi ». entre ces deux moments il s’agit uniquement d’un acte juridique.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 rompt avec la tradition française. Cette tradition interdisait tout contrôle a posteriori de la loi.
Il s’agit donc de voir comment la QPC s’inscrit dans une anomalie initiale qu’est la constitution de la Vème république (I). elle fait finalement corps avec celle-ci (II).
L’absence originelle de la question prioritaire de constitutionnalité :
La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est une question posée, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation (sauf devant la Cour d’assises où la QPC peut être soulevée uniquement au cours de l’instruction, de l’appel ou de la cassation) par une partie sur la conformité à la Constitution d’une loi applicable au litige.
On l’appelle également contrôle a posteriori.
L’unique contrôle a priori de la loi :
Avant 2008, il n’existait pas de contrôle a posteriori. En effet, historiquement, la loi est l’expression de la raison, de la vérité, rien ne peut être au dessus de la loi. C’est un héritage du siècle des lumières et notamment de Montesquieu.
Etant parfaite, dès qu’elle est promulguée et acquiert définitivement sa qualité de « loi », elle ne peut plus être remise en cause par un juge. La justification repose aussi sur l’interdiction du gouvernement des juges.
Le contrôle a priori est facultatif et repose sur la mobilisation de la minorité politique (article 61 de la constitution). Surtout, le Conseil Constitutionnel doit répondre uniquement aux questions qui lui sont posées. Si la question est mal posée, alors une disposition inconstitutionnelle pourrait survivre et entrer dans le droit positif.
L’insuffisant contrôle a priori de la loi :
Pour que la Constitution soit effectivement la norme supérieure, il faut que toutes les règles inférieures lui soient conformes.
Or, comment s’assurer de cette conformité si toutes les lois ne sont pas automatiquement soumise à un tel contrôle ?
Il existe plusieurs situations.
Premièrement, toutes les lois n’ont pas été votées depuis 1958. Ainsi la loi d’association de 1901 ou encore sur la liberté de la presse de 1881. Le Conseil Constitutionnel existe seulement depuis 1958.
Deuxièmement, toutes les lois ne sont pas automatiquement soumise au contrôle de constitutionnalité.
Troisièmement, un texte soumis au contrôle de constitutionnalité pourrait voir certaines de ses dispositions non discutées devant le Conseil Constitutionnel.
Quatrièmement, des circonstances nouvelles pourraient rendre un texte par la suite inconstitutionnelle.
En conclusion, sans un contrôle a posteriori, des inconstitutionnalités peuvent exister. C’est pourquoi question prioritaire de constitutionnalité corrige une anomalie juridique.
La mise en œuvre pratique de la Question prioritaire de constitutionnalité :
Pour la protection des libertés fondamentales, les avocats doivent s’emparer de cet outil. Nous allons voir comment en évoquant les conditions (A) pour une mise en pratique (B).
Les conditions de la question prioritaire de constitutionnalité :
Tout d’abord, rappelons que la QPC est fixée à l’article 61 de la constitution.
Ensuite, une loi organique en 2009 a modifié l’ordonnance du 7 novembre 1958. Cette ordonnance fixe les conditions à remplir pour qu’une question prioritaire de constitutionnalité soit jugée recevable.
Les articles 23-1 et suivant de cette ordonnance fixe trois conditions :
- La disposition contestée doit être applicable au litige.
- La disposition ne doit pas avoir déjà été validée par le Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstance (révision de la constitution changement de droit ou changement de fait).
- La question de constitutionnalité ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux.
Ces trois conditions réunies permettent de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la juridiction supérieure jusqu’à son arrivée au Conseil Constitutionnel.
L’analyse pratique de la question prioritaire de constitutionnalité:
Il s’agit d’un outil encore trop peu utilisé. Cela est dommage car il constitue un moyen qui doit être mis au service des justiciables pour la défense de leurs libertés fondamentales.
En effet, bien que le juge judiciaire et le juge administratif disposent du pouvoir d’apprécier la conformité des lois aux conventions internationales, il n’en est rien pour le contrôle de constitutionnalité. Ce contrôle relève du monopole du Conseil Constitutionnel.
> Cour de Cassation, Chambre MIXTE, du 24 mai 1975, 73-13.556 ;
Cet outil a donné lieu à des décisions remarquables notamment pour les droits des gardés à vue. Cette décision avait permise l’arrivée de l’avocat dès la première minute de garde à vue.
De même, dans le contentieux des soins sans consentement, la jurisprudence du Conseil Constitutionnel a permis à de nombreuses reprises d’améliorer les droits des personnes internées.
En conclusion, cet outil a de beaux jours devant lui. Il faudra que les justiciables s’en emparent et que les magistrats jouent le jeu. Cela n’est pas forcément gagné comme nous avons pu le voir avec la suspension des soignants.