“L’excès de sévérité produit la haine. L’excès de l’indulgence affaiblit l’autorité. Sachez garder le milieu et vous ne serez exposé ni au mépris ni aux outrages.” Disait Mocharrafoddin Saadi.
L’obligation vaccinale se caractérise par la contrainte juridique à laquelle une personne concernée doit satisfaire.
Jusqu’à une époque récente cette obligation n’emportait pas de conséquences disproportionnées en cas de non-respect. Ainsi, il existe dans notre population une part importante qui ne satisfait pas à l’ensemble des obligations vaccinales. Surtout, la question de l’obligation vaccinale était très largement décorrélée de la question de citoyenneté ou de libertés fondamentales.
Si un enfant ne satisfaisant pas à ses obligations vaccinales, ne peut plus accéder à des établissements scolaires ou périscolaires, ce dernier n’en demeure pas moins un citoyen à part entière, et pourra mener une vie tout à fait normale par la suite.
Ce monde n’est plus ! Exit l’obligation vaccinale, bienvenue l’injection forcée.
Si l’obligation vaccinale contre la covid-19 a été imposé par la loi du 5 aout 2021 à plusieurs millions de personnes, son champ d’application fait encore parler.
Les agents administratifs, travaillant dans des locaux distincts physiquement et matériellement de ceux dans lesquels des activités de santé sont réalisées, sont ils concernés par l’obligation vaccinale ?
A notre sens, la question est non !
Cependant, parmi les nombreux recours engagés par le cabinet au soutien des soignants, des décisions contradictoires ont eu lieu.
(Pour engager des recours, retrouvez nous sur la page recours contre décision de suspension)
Nous reviendrons sur l’analyse des textes (I) et son application par le juge administratif (II).
I- L’analyse objective de l’obligation vaccinale :
Nous soutenions dans nos requêtes concernant les agents administratifs suspendus pour défaut de satisfaction à l’obligation vaccinale que, travaillant dans des locaux distincts physiquement et matériellement de ceux dans lesquels des activités de santé sont réalisées, ces derniers ne sont pas concernés par l’obligation vaccinale.
Cette argumentation répond à l’esprit de la loi (A), mais également à sa lettre (B).
A) L’esprit du texte : La protection renforcée des personnes vulnérables en contact direct ou indirect :
L’obligation vaccinale a été instaurée afin de protéger les plus à risque de développer des formes graves de la maladie, le législateur a établit une obligation de vaccination contre la covid-19 pour les personnes exerçant leur activité dans les établissements et services de santé et médico-sociaux, ainsi que pour les professionnels de ville, les professionnels intervenant à domicile auprès des personnes fragiles, les sapeurs-pompiers et les membres des associations agréées de sécurité civile, ou encore les transporteurs sanitaires.
Dans ce contexte de reprise épidémique, les autorités médicales et scientifiques convergent pour estimer que la vaccination constitue le moyen le plus efficace de maîtriser durablement l’épidémie et est de nature à lutter contre un accroissement excessif de la pression hospitalière.
Lors de l’instauration de cette mesure, et selon le point épidémiologique de Santé publique France du 16 juillet 2021, 81,6 % des professionnels de santé libéraux ont reçu une première dose de vaccin quand 77,1 % ont un schéma vaccinal complet. Pour les professionnels exerçant en Ehpad et USLD, les taux sont plus faibles : respectivement 62,4 % et 52,7 % .
La Haute Autorité de Santé Publique préconisait une vaccination obligatoire de ses personnels de santé pour les raisons suivantes :
- – Une dégradation de la situation épidémique ;
- – L’efficacité des vaccins notamment à l’égard des variants ;
- – Le niveau insuffisant de la couverture vaccinale des professionnels au contact des plus âgés ;
- – Les risques liés à la contamination des professionnels au contact des personnes vulnérables ;
C’est ainsi que l’article 12 de la loi prévoit que le champ d’application de l’obligation vaccinale :
- – Les professionnels de santé visés par la loi ;
- – Les lieux visés par la loi dans lesquels se situent les populations fragiles ;
C’est à ce titre que des professionnels de santé sont soumis à cette obligation quelle que soit la nature des tâches accomplies, ou que des personnels administratifs sont soumis à celle-ci en raison du lieu dans lequel elles se situent.
L’esprit de la loi du 5 aout 2021 répond à celui de protéger les personnes à risques dès lors que des personnels sont en contact directs ou indirects avec ces derniers.
Qu’en est il lorsque des agents, employés par des établissements soumis à l’obligation vaccinale n’ont aucun contact direct ou indirect avec ces personnes vulnérables ?
B) La lettre du texte : l’exclusion affirmée des personnels sans contact avec les personnes vulnérables :
La loi prévoit une exception à l’obligation vaccinale « (…) III. – Le I ne s’applique pas aux personnes chargées de l’exécution d’une tâche ponctuelle au sein des locaux dans lesquels les personnes mentionnées aux 1°, 2°, 3° et 4° du même I exercent ou travaillent (…) ».
Le décret ajoute une seconde exception à son article 49-2 lequel dispose « Les locaux mentionnés au 4° du I de l’article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 susvisée sont les espaces dédiés à titre principal à l’exercice de l’activité des professionnels mentionnés au 2° et des personnes mentionnées au 3° du même I ainsi que ceux où sont assurées, en leur présence régulière, les activités accessoires, notamment administratives, qui en sont indissociables ».
Cette disposition précise le champ d’application de l’obligation vaccinale.
Cette seconde exception doit être interprétée à contrario. Si les taches accessoires sont dissociables des établissements où s’applique l’obligation vaccinale a lieu, alors les personnes exerçant dans ces lieux n’y sont pas soumis.
En d’autres termes, s’il n’y a pas de contact direct ou indirect avec les personnes vulnérables il n’y a pas d’obligation vaccinale.
Cette absence de contact direct ou indirect passe notamment par l’exercice d’une activité accessoire. Tel sera le cas si cette activité s’exerce dans des locaux distincts de ceux dans lesquels s’exercent les activités de santé.
II- L’analyse jurisprudentielle du champ d’application de l’obligation vaccinale :
Les ordonnances de référé ont une portée toute relative (A). Surtout , nous constatons que l’analyse susmentionnée est souscrite par un certain nombre de tribunaux (B).
A) La portée toute relative des ordonnances de référé :
Rappelons qu’en matière de référé, il s’agit par principe d’un juge unique, lequel ne peut prononcer que des mesures provisoires.
L’autorité de chose jugée est la force juridique attachée à une décision juridictionnelle réputée conforme au droit.
Les ordonnances sont revêtues de l’autorité relative de la chose jugée. Cela signifie qu’il n’y a autorité de la chose jugée que si le nouveau procès se déroule entre les mêmes parties, pour le même objet et sur la base de la même cause juridique.
L’autre conséquence et qu’une ordonnance de référé ne s’impose pas à la formation de jugement qui se prononcera sur la question de l’annulation.
En effet, et rappelons le, le juge des référés suspension est un juge de l’évidence qui devra s’assurer que deux conditions sont remplies :
- – Une condition d’urgence ;
- – Un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;
Si une des conditions manque, alors le recours sera rejeté. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas d’illégalité. Cela signifie uniquement que, l’illégalité potentielle, si elle est constituée, n’est pas suffisamment flagrante et urgente pour justifier que le privilège du préalable dont dispose l’administration soit remis en cause.
Le rejet de la demande d’un agent administratif non soumis à l’obligation vaccinale, et injustement suspendu, ne préjuge en rien des suites qui pourraient être données par la formation de jugement au fond.
B) Une jurisprudence contradictoire et incertaine :
La position du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a été celle de rejeter les demandes formulées par les agents administratifs travaillant dans des locaux administratifs distincts de ceux dans lesquels les activités de santé sont exercées.
Aucune motivation n’a été apportée quant aux raisons qui ont conduit à écarter le raisonnement présenté ci avant. Il faudra donc se contenter d’un lapidaire « en l’état de l’instruction, aucun des moyens développés (…) n’est propre à créer un doute sérieux (…) ».
Surtout, le juge ne contredit pas l’argumentation développée par les requêtes portées par le cabinet de Maître David GUYON. Dans ces conditions, rien n’empêchera la formation de jugement de retenir cet argument si elle l’estime fondé.
Parallèlement, plusieurs juridictions ont souscrit à l’argumentation développée ci avant. Ainsi le juge des référés du Tribunal Administratif de Lyon a, au contraire, jugé que les fonctions de cuisinier exerçant dans un bâtiment annexe situé à l’extérieur de l’hôpital ne faisait pas partie des personnels soumis à l’obligation vaccinale.
D’autres juridictions ont suivi ce raisonnement.
En résumé la situation est la suivante :
- – L’annulation de la décision de suspension n’est pas remise en cause par une ordonnance de rejet ;
- – les juges ne sont pas tous d’accord sur le champ d’application de l’obligation vaccinale, meme si certains ont considéré que les agents administratifs travaillant dans des locaux distincts n’étaient pas concernés ;
Les conséquences de l’annulation d’une décision de suspension indument prononcée à l’encontre d’un agent qui ne serait pas soumis à l’obligation vaccinale sont considérables :
- – Restitution des sommes non versées à compter de la décision de suspension ;
- – Reconstitution de la carrière à compter du jour de la suspension jusqu’à la décision d’annulation (droit à la retraite, droit à congé payé, avancement dans l’échelon) ;
- – Indemnisation pour faute de tous les préjudices résultant de manière directe et certaine de cette décision ;
- – Ouverture d’un droit à indemnisation pour l’ensemble des agents soumis aux mêmes décisions ;
- – Ouverture d’un droit à indemnisation pour les agents ayant subis une injection alors qu’ils n’étaient pas concernés par l’obligation vaccinale ;
Dans ces conditions il existe un risque juridique et économique certain qui pourrait être redoutable pour les établissements publics ayant suspendu avec un peu trop de zèle.
A l’inverse, la réintégration de l’agent ne ferait l’objet d’aucun recours. Cette réintégration ne serait pas contraire à la loi. L’objectif de santé publique serait parfaitement préservé. Le risque juridique et économique serait faible voire inexistant si une telle solution était privilégiée par les établissements de santé.
Dans ces conditions, les établissements publics devraient lire avec une très grande attention l’article ci présent et éviter tout risque juridique et économique face à une jurisprudence encore incertaine et contradictoire.
En tout domaine l’excès est un vice. La peur risque de changer de camp. Les agents ont tout intérêt à contester ces mesures. Les établissements devraient suspendre avec parcimonie et éviter de susciter la haine.