Adolphe Basile ROUTHIER disait « Il n’est pas nécessaire d’être avocat ou magistrat pour savoir que la légalité et la justice sont loin d’être synonymes ».
L’instauration du délit du confinement en est malheureusement un triste exemple.
Le terme de confinement était un mot peu usité avant Mars 2020. Il vient de l’action de se confiner, c’est-à-dire, qui signifie « Forcer à rester dans un espace limité ».
Face à la pandémie de Covid-19 frappant le monde, la France, à l’instar de nombreux autres pays, a décidé de procéder au confinement de sa population.
Le confinement est une solution de dernier recours, un moindre mal, dont les effets extrêmement liberticides ne sont pourtant pas compensés par une protection de la santé de même niveau (voir notre article sur l’impuissance publique face au covid-19[1]).
Ce que l’on appelle dans le langage courant « délit de confinement » est l’interdiction édictée par le décret du 16 mars puis du 23 mars 2020 de tout déplacement de toute personne hors de son domicile. Ces restrictions de liberté visent à lutter et à prévenir l’épidémie de coronavirus.
Ce texte consacre l’obligation de confinement jusqu’au 11 mai dans sa version du 16 avril 2020.
Ce décret, modifié à trois reprises puis abrogé et remplacé par le décret du 23 mars 2020, établi les huit exceptions permettant de déroger légalement à l’interdiction de déplacement ou en d’autres termes à l’obligation de confinement. depuis le 16 avril 2020, cette obligation de confinement est prévue jusqu’au 11 mai 2020.
Pour que ce confinement puisse être respecté, le Premier ministre a, par un décret n° 2020-264 du 17 mars 2020, instauré une contravention réprimant la violation des mesures destinées à prévenir et à limiter les conséquences des menaces sanitaires graves sur la santé de la population.
Le manquement à cette obligation de confinement donne lieu au paiement d’une peine contraventionnelle de 135 € (article R49 et 529 du code de procédure pénale).
Début avril, ce n’était pas moins de 480.000 contraventions qui avaient été distribuées[2]. Parallèlement, le 28 mars 2020, le Conseil d’État affirmait que l’État n’avait ni masque, ni blouses ni possibilités de tests pour protéger ses personnels soignants[3].
Il apparait donc que l’État a été bien plus efficace dans la distribution de contraventions que dans celles des masques !
Quoi qu’il en soit, ce délit, que l’on soit pour ou contre, mérite que l’on s’y attarde tant son impact sur la vie quotidienne est important. Le citoyen lambda se doit d’être informé de la parfaite illégalité qui entache ce délit.
En effet, l’illégalité de ce délit de confinement apparait patent, tant au niveau du droit administratif et constitutionnel (I) que sur le plan pénal (II).
I- L’illégalité manifeste du décret instaurant la contravention de violation du confinement : l’approche du droit administratif et constitutionnel
Deux éléments laissent penser que cette infraction est inconstitutionnelle et pourrait être annulée devant le Conseil d’État. La première, parce qu’en réalité aucun texte ne prévoit la peine contraventionnelle en cas de manquement à l’obligation de confinement (A).
La seconde, parce que même à supposer qu’un texte prévoit une telle contravention à cette obligation, les dérogations prévues par le décret du 23 mars 2020 ne répondent pas aux exigences de la loi pénale (B).
A) L’illégalité grossière du délit de confinement en l’absence de peine fixée par un texte :
À ce jour l’article L.3136-1 du code de la santé publique (CSP) prévoit que les interdictions ou obligations édictées en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 sont punies de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe.
Outre le fait, que le renvoie à des articles n’aide pas à la lisibilité du dispositif mis en place, on se penchera sur la peine précisément encourue en cas de méconnaissance de l’obligation de confinement.
L’article L. 3131-1 du CSP rappelle que le ministre de la santé peut prendre l’ensemble des mesures nécessaires à la lutte contre l’épidémie.
L’article L. 3131-15 du CSP pose le principe selon lequel le Premier Ministre peut prendre un certain nombre de mesures dans le cadre de la lutte contre l’épidémie, comme les restrictions de circulation, l’interdiction des regroupements, la fermeture de certains établissements.
Ces textes ont été édictés par la loi du 23 mars 2020 et élargissent les pouvoirs de police dont disposent le Premier Ministre et le Ministre des solidarités et de la santé.
En revanche, ces textes ne précisent pas clairement que l’interdiction de tout déplacement en dehors de son domicile entraine une peine contraventionnelle.
Seul le décret du 23 mars 2020, dans sa version modifiée du 16 avril 2020, fixe l’interdiction à l’ensemble de la population française d’effectuer tout déplacement hors de son domicile et ce jusqu’au 11 mai 2020, sauf les huit exceptions qui suivent et qui sont fixées à son article 2.
Les dispositions précitées du code de la santé publique ne fixent pas la peine encourue en cas de méconnaissance de l’obligation de confinement.
C’est pourtant une des exigences constitutionnelles en matière pénale. Il faut qu’un texte clair et précis prévoie l’infraction encouru si une obligation clairement identifiée est méconnue. Telle n’est pas le cas en l’espèce!
Ainsi prenons l’exemple du vol. Le vol est défini par la loi à l’article 311-1 du code pénal comme la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. La peine pour ce fait clairement identifié et défini, est prévue par l’article 311-3. C’est une application classique du principe de la légalité des délits et des peines.
En réalité, la peine encourue en cas de méconnaissance de cette obligation est à ce jour, fixée uniquement par le décret n°2020-264 du 17 mars 2020.
C’est la raison pour laquelle ce dernier n’a pas été abrogé après le 23 mars 2020.
Cependant, ce décret du 17 mars 2020 dans sa version actuelle (24 avril 2020) prévoit que cette peine contraventionnelle s’applique aux infractions commises en méconnaissance des obligations fixées par le décret du 16 mars 2020. Or, ce décret a été abrogé par le décret du 23 mars 2020.
Ainsi le seul texte applicable pour sanctionner la méconnaissance à l’obligation de confinement vise expressément et uniquement, un texte qui n’existe plus !
Cela emporte deux conséquences :
- A ce jour, l’obligation de confinement n’est sanctionnée par aucun texte ;
- Toutes les contraventions émises après le 23 mars 2020 n’ont pas de base légale, et les articles du code de la santé publique ne visant pas clairement l’obligation de confinement ne sont d’aucuns secours ;
Aucune modification du décret du 17 mars 2020 n’est intervenue pour corriger cette erreur, qui ne peut être qu’une erreur d’inattention tellement elle est grossière.
À une heure ou nos libertés sont significativement amputées, il est extrêmement dommageable que les textes prévoyant ces restrictions de liberté n’aient pas de base légale solide. C’est un déni de la démocratie et des droits fondamentaux dès lors que ces mêmes peines d’amendes peuvent donner lieu en cas de récidive à des peines privatives de libertés.
Nos confrères militent déjà actuellement pour contester la constitutionnalité de ce dispositif en soulevant la question prioritaire de constitutionnalité devant la Cour de Cassation et on les en remercie.
Si le Conseil Constitutionnel s’assoit sur la Constitution comme il l’a fait dans sa décision du 26 mars 2020 compte tenu des « circonstances particulières de l’espèce », il n’y a cependant pas grand-chose à espérer[4].
Gageons que le Conseil, dans sa grande sagesse, ne verse pas dans cette panique généralisée.
Le Conseil d’État saisi de cette question par le cabinet devra également répondre de ce moyen d’illégalité.
Si la réponse à une telle illégalité ne vient pas de nos juridictions nationales, alors il conviendra de porter la question tant devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme que devant la Cour de Justice de l’Union Européenne afin que ces textes liberticides et manifestement illégaux ne restent pas sans réponse.
Enfin, quand bien même une correction viendrait postérieurement à la rédaction de cet article, il n’en demeure pas moins qu’entre le 23 mars jusqu’au jour de la modification du texte, les contraventions seront émises en vertu d’un manquement à une obligation pour lequel aucun texte n’a prévu de peine.
Les contraventions seront donc entachées d’illégalité et aucune régularisation ne sera possible.
B) La méconnaissance des règles fondamentales du droit pénal par l’obligation de confinement :
La Constitution prévoit un grand nombre de principes applicables notamment en matière pénale, et ce en raison des peines privatives de liberté que peuvent conduire ces textes.
L’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ».
L’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen rappelle que la liberté implique le droit de faire tout ce qui n’est pas interdit, et que la loi doit être la même pour tous selon l’article 6.
La qualité de la norme est avant tout une exigence matérielle du principe de sécurité juridique qui se manifeste essentiellement au travers de la loi.
L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».
Le Conseil constitutionnel juge, juge qu’il appartient au « législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire ».
- Conseil Constitutionnel 20 janvier 1981 n°80-127 DC ;
Le décret prévoyant le confinement apparaît comme méconnaissant ces principes dès lors que l’élément matériel prévoyant l’infraction de violation du confinement n’est pas défini en des termes suffisamment clairs et précis ce qui méconnaît les principes susvisés.
Comme l’a clairement indiqué le Conseil Constitutionnel, l’égalité devant la loi prévue à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen implique que les citoyens soient en mesure de comprendre avec suffisamment de certitude les conséquences prévisibles d’une disposition législative ou réglementaire. Cette compréhension est nécessaire afin que soient assurés les droits et libertés prévues à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Cette carence est démontrée par deux éléments :
- L’ambiguïté des formulations choisies pour établir l’élément matériel
Ces formulations sont diverses et variées. On peut relever « trajet professionnel insusceptible d’être différé », « achats de première nécessité », « motif familial impérieux », « un domicile », « activité physique individuelle ». Il n’existe pas de définition légale, ce qui empêche d’identifier clairement les conditions dans lesquelles on peut déroger à l’obligation de confinement.
- L’interprétation large de la loi pénale
Il ne passe pas un jour sans que l’actualité informe les citoyens des procès-verbaux de contravention dressés dans des circonstances qui n’apparaissaient pas relever du texte pénal.
Ainsi alors même que le décret ne prévoit pas de telles interdictions, certains individus ont ainsi été verbalisés pour avoir écrit une date sur l’attestation dérogatoire prévue par le décret au crayon de papier[5], pour être sorti dans un rayon de 500 mètres autour de chez soi[6], ou de 200 mètres[7].
De nombreux agents de police ont dressé des procès-verbaux de contravention dans des circonstances s’éloignant très grandement des textes.
Or, en droit pénal, l’interprétation de la loi pénale est stricte. Ainsi, il n’est pas possible de dresser un procès-verbal pour un cas qui n’est pas expressément prévu par la loi pénale.
Ces motifs d’inconstitutionnalité du décret ne sont pas exhaustifs.
II- La contestation utile de la contravention pour manquement à l’obligation de confinement : l’approche du droit pénal
Seul le décret 2020-293 du 23 mars 2020 prévoit l’obligation de confinement et les huit exceptions qu’il comporte. Le texte, tout le texte, rien que le texte !
En premier lieu, le décret du 23 mars prévoit une exception à l’obligation de confinement pour « 2° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par l’article 8 du présent décret ; ».
Le texte ne fixe aucune distance précise pour effectuer ses achats de première nécessité. Il est donc tout à fait possible de faire ses courses dans le supermarché qui n’est pas forcément le plus proche de chez soi sans risquer d’être verbalisé.
En deuxième lieu, le trajet entre le domicile et le lieu de travail constitue une des exceptions à l’obligation de confinement. Il n’est donc pas possible de remettre en cause cette autorisation en exigeant que soit ajoutée l’impossibilité d’effectuer son activité en télétravail. Cette condition n’est pas prévue par le texte, et l’interprétation stricte de la loi pénale doit conduire à écarter cette condition.
En troisième lieu, l’agent ne peut porter aucune appréciation sur le bien-fondé du motif invoqué. Il suffit que le motif existe et qu’il entre dans les huit exceptions prévues par le texte. En d’autres termes si vous indiquez que vous allez dans un magasin pour vos achats de nécessité, vous n’avez pas besoin de justifier que ce magasin est le plus proche de chez vous ni de la liste de course afin de prouver qu’il s’agit d’achat de première nécessité. Tant que vous achetez un bien dans un magasin autorisé à ouvrir, vous êtes dans la légalité.
En quatrième lieu, le «motif familial impérieux» est une notion fourre-tout qui permet de grandes largesses. Il apparaît, dans ces conditions, extrêmement difficile pour l’agent verbalisateur de contrôler la validité d’un tel motif. Mais surtout, il apparaît difficile pour l’agent verbalisateur de juger lui-même ce qu’est un motif familial impérieux, la loi ne le précisant pas.
En cinquième lieu, l’attestation que vous trouverez sur internet en vue d’indiquer le motif pour lequel vous ne respectez pas l’obligation de confinement n’a rien d’obligatoire et aucune forme n’est prévue.
L’exigence posée par le décret est que la personne souhaitant se déplacer hors de son domicile soit munie «d’un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l’une de ces exceptions ».
Dans ces conditions, de nombreux documents peuvent tout à fait être appropriés pour pallier à l’absence d’attestation écrite (justificatif de domicile, justificatif du lieu de travail pour les trajets professionnels, une liste de course, un mail ou courrier émanant d’un membre de la famille, etc.).
Cet article est nécessairement incomplet et n’a pas vocation à présenter dans le détail l’ensemble des illégalités affectant tant le principe de la contravention que ces modalités. Quoi qu’il en soit, à l’heure où nos libertés publiques sont gravement atteintes, il est insupportable que les atteintes portées à celles-ci ne le soient pas dans le respect de la légalité.
Si justice et légalité ne sont pas synonymes, il n’en demeure pas moins qu’ils ne doivent pas devenir pour autant antonymes !
[1] https://guyon-avocat.fr/limpuissance-publique-face-au-covid-19/
[2] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-pres-de-480000-contraventions-dressees-sur-8-2millions-de-controles-depuis-le-debut-du-confinement-annonce-christophe-castaner
[3] Conseil d’État 28 mars 2020 N°439693, 439726, 439765 ;
[4] Conseil Constitutionnel 26 mars 2020 n° 2020-799 DC
[5] https://www.lesinrocks.com/2020/04/02/actualite/societe/quand-les-verbalisations-pour-non-respect-du-confinement-deviennent-abusives/
[6] https://amp.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/le-pouliguen-44510/le-pouliguen-135-parce-qu-elle-allait-nourrir-ses-chevaux-au-pre
[7] http://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/controle-a-velo-a-200-m-de-chez-lui-il-ecope-de-135-eur-d-amende