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Les animaux de cirque et le droit

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Sommaire

À l’heure où la mairie de Paris décide de s’engager formellement à ne plus donner « aucune autorisation » d’installation, dès 2020, aux cirques qui présenteront des spectacles avec des animaux sauvages, un rapide tour d’horizon sur l’état du droit en France apparaît intéressant. Cette analyse sera d’autant plus pertinente pour les Maires, désireux de s’engager dans cette démarche ou tout simplement soucieux d’agir dans la légalité, afin d’encadrer ces spectacles.

En ce qui concerne les cirques ayant recours à des animaux, le législateur les a envisagés sous le nom d’« établissement de spectacles itinérants pouvant détenir et utiliser des animaux vivants d’espèces non domestiques ».

Sont qualifiés d’itinérant, les spectacles réalisés dans des lieux différents ou requérants le déplacement des animaux en dehors du lieu où ils sont habituellement hébergés (article 1er de l’arrêté du 18 mars 2011 fixant les conditions de détention et d’utilisation des animaux vivants d’espèces non domestiques dans les établissements de spectacles itinérants).

Les articles L.214-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime rappellent que les animaux sont des êtres doués de sensibilité et que toute personne ayant le droit de détenir des animaux est soumise à certaines conditions et que le non-respect de ces obligations peut entraîner la fermeture des établissements qui ne s’y conformeraient pas.

Néanmoins, à ce jour, il n’existe pas de définition d’animaux « sauvages ». Toutefois, l’arrêté du 11 août 2006 fixant la liste des espèces, races ou variétés d’animaux domestiques, définit ce qu’est un animal domestique. Une définition précise est donnée par son article 1er. On peut synthétiser celle-ci et considérer qu’un animal domestique est un animal dont l’espèce se différencie des populations génétiquement les plus proches d’eux par un ensemble de caractéristiques identifiables et héréditaires qui sont la conséquence d’une politique de gestion spécifique et raisonnée des accouplements.

En d’autres termes, il s’agit d’animaux qui ont été façonnés par l’homme.

Cet arrêté est complété par une annexe qui fixe limitativement les animaux domestiques. Ainsi, sans surprise, les chats, les chiens, les chevaux sont des animaux domestiques. Plus surprenant, aux termes de cet arrêté, le lama, le dromadaire, le yack ou encore le zébu en font également partie.

De ce fait, les animaux d’espèces non domestiques sont ceux qui n’entrent pas dans cette définition ni dans la liste limitativement fixée.

S’agissant d’animaux non domestiques, les cirques seront soumis à une réglementation rigoureuse dont l’essentiel des règles est fixé par les dispositions de l’arrêté du 8 octobre 2018 relatif aux conditions de détention d’animaux d’espèces non domestiques.

Cependant, les cirques utilisent également des animaux domestiques. On pense notamment aux chevaux. Les développements qui suivent concerneront l’ensemble des cirques ayant recours à des animaux, qu’ils soient sauvages ou non.

L’utilisation des animaux au sein des cirques est une question d’actualité résultant de la survenance de nombreux scandales liés aux conditions de détentions et de traitement de ces animaux. Cela a conduit les défenseurs de la cause animale à se faire entendre d’une manière toujours plus pressante auprès des pouvoirs publics.

C’est dans ces conditions que de nombreux Maires ont cherché à empêcher l’installation des cirques présentant des animaux sur le territoire de leur Commune.

Dans le cadre de cette démarche, les décideurs locaux sont confrontés à de nombreuses interrogations, notamment quant à la légalité de leurs décisions.

Afin de répondre à ses interrogations, nous verrons dans quelles conditions un Maire peut légalement encadrer l’activité des établissements de spectacles itinérants pouvant détenir et utiliser des animaux vivants sur le territoire de sa commune.

Deux voies ont été choisies jusqu’à ce jour. La première concerne la liberté limitée dont dispose une commune pour refuser une autorisation d’occupation du domaine public à un cirque (I). La seconde concerne les pouvoirs strictement encadrés des Maires pour interdire l’activité des cirques présentant des spectacles avec des animaux (II). Quelle que soit la démarche choisie, nous verrons qu’elles s’avèrent juridiquement périlleuses sans un minimum de précautions.

I- Les pouvoirs limités du Maire quant au refus de l’installation des cirques au regard de la gestion du domaine public  :

En France, aucune loi n’interdit à ce jour les spectacles présentant des animaux. C’est la raison pour laquelle les cirques, ayant recours à l’utilisation des animaux pour leurs spectacles, sont en droit de pouvoir se produire sur le territoire d’une commune dans le respect des lois et règlements en vigueur.

En effet, ces activités sont strictement encadrées, d’autant plus que le bien-être des animaux est en jeu.

La détention de tels animaux est soumise à deux contrôles administratifs préalables et cumulatifs :

  • Obtenir une autorisation préfectorale d’ouverture spécifique à ces établissements (article L.413-3 du Code de l’environnement) ;
  • Obtenir un certificat de capacité pour les responsables de ces établissements délivrés par le préfet (article L.413-2 du Code de l’environnement) ;

Sans ces autorisations, un cirque ne peut pas détenir des animaux. Ainsi, seuls les cirques disposant de ces dernières pourront solliciter auprès du Maire une autorisation d’occupation du domaine public.

L’article L. 2122-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) pose le principe de la nécessité de disposer d’un titre pour pouvoir occuper régulièrement le domaine public d’une personne publique.

À titre liminaire, il convient de rappeler que le domaine public d’une personne publique est constitué de l’ensemble des « biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas il fasse l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service » (article L.2211-1 du CG3P).

L’affectation est l’acte juridique par lequel une autorité administrative assigne à un bien une destination particulière qui peut être, soit l’usage direct du public, soit l’utilisation par un service public.

En ce qui concerne les cirques, le domaine public pouvant être mis à disposition de la commune est essentiellement constitué des terrains permettant à ces derniers de s’y installer et d’y exercer leur activité.

Les terrains mis à disposition doivent appartenir à la commune et être affectés, soit à l’usage du public, soit à un service public. Cette autorisation sera limitée dans le temps et pourra faire l’objet d’un renouvellement dès lors que par essence, ces autorisations sont toujours précaires et qu’il n’existe aucun droit acquis au renouvellement (article L. 2122-2 et L.2122-3 du CG3P).

Ainsi, les cirques souhaitant s’installer provisoirement sur le territoire d’une commune devront solliciter une autorisation qui impliquera une contrepartie financière. Le refus d’autorisation peut reposer sur deux types de motifs :

  1. Des motifs tirés de la gestion du domaine public ;
  2. Des motifs tirés de l’ordre public ;

Un refus d’autorisation reposant sur des motifs tirés de l’ordre public constitue une mesure de police administrative. Elle obéit à un régime juridique particulier sur lequel nous reviendrons.

Une décision d’autorisation d’occupation du domaine public sera considérée comme reposant sur des motifs tirés de la gestion du domaine public lorsqu’elle se fonde sur des arguments relatifs au respect de la destination de la dépendance domaniale, de l’intérêt du domaine ou des autres intérêts publics en présence.

Dans cette hypothèse, la commune dispose d’une très large marge de manœuvre. C’est pourquoi il a été jugé que ni le principe de la liberté du commerce ni de la liberté de la presse ni les règles établies pour la surveillance et le contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence ne sauraient faire obstacle à l’exercice des pouvoirs de gestion du domaine.

  • Conseil d’État 20 décembre 1957, Société nationale d’éditions cinématographiques.

En d’autres termes, lorsqu’un motif tiré de la gestion du domaine public est invoqué, c’est davantage pour faire prévaloir l’intérêt général que pour interdire l’installation d’un cirque à proprement parler.

À titre d’illustration, une demande d’autorisation d’occupation du domaine public par un cirque pourra être rejetée pour un motif de gestion du domaine public tiré de l’étroitesse d’une place publique. En effet, si l’installation d’un cirque conduit à estimer que la place ne dispose pas des capacités nécessaires pour accueillir le cirque et ses animaux, alors le refus sera justifié.

Le renouvellement obéit au même régime. Telle sera le cas dans l’hypothèse de la réfection d’une place habituellement mise à disposition. L’affectation du domaine justifiera que la réfection l’emporte sur les intérêts économiques du cirque.

Ces développements appellent deux remarques :

  1. Il sera difficile d’invoquer un tel motif sur l’ensemble du territoire d’une commune ;

Chaque décision d’autorisation d’occupation du domaine public nécessite une analyse in concreto. Il revient ainsi à un Maire de motiver un tel refus dès lors qu’il s’agit d’une décision défavorable au sens des dispositions de l’article L.211-2 du Code des relations entre l’administration et le public.

  • Cour Administrative d’Appel Bordeaux 28 septembre 2017 n°15BX02360 ;

S’il peut paraître tentant d’invoquer un motif tiré de la gestion du domaine public, faut-il encore que ce dernier soit réel.

Le refus de faire droit à la demande d’autorisation d’occupation du domaine public d’un cirque sollicitant un emplacement sur un bien du domaine public communal pour un motif fallacieux peut entraîner son annulation et porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie.

L’illégalité du refus opposé à une demande d’occupation du domaine public ou de la décision mettant fin à l’occupation domaniale peut ouvrir un droit à indemnisation.

  • Cour Administrative d’Appel Marseille 15 septembre 2017 n°16MA02342 ;

Il est donc conseillé d’être extrêmement prudent en cas de refus d’autorisation ou de renouvellement.

2. En se fondant sur des motifs tirés de l’ordre public et non de la gestion du domaine public, la décision constituera une mesure de police administrative ;

Le motif de la décision déterminera sa nature juridique. En effet, en invoquant un motif tiré de la préservation de l’ordre public, la mesure doit être requalifiée en mesure de police administrative avec toutes les conséquences de droit.

  • Conseil d’État 13 novembre 2017 Commune de Marseille n°415400 ;

Il résulte de ce qui précède que les communes ont en réalité une faible marge de manœuvre pour refuser l’installation des cirques sur leur territoire.

Toutefois, si le droit de la domanialité publique offre peu de possibilités, il est toujours possible de réglementer l’activité des cirques sur le fondement des pouvoirs de police dont dispose le Maire.

II- Les pouvoirs conditionnés du Maire quant à l’activité des cirques au regard de la police administrative :

Le Maire dispose du pouvoir de police locale et peut donc à ce titre, prescrire toute mesure visant à assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publics (article L.2212-2 du Code général des collectivités locales).

Un acte administratif unilatéral visant à maintenir l’ordre public est une mesure de police administrative.

L’encadrement des activités des spectacles présentant des animaux peut passer par l’édiction de mesure de police administrative. La légalité d’une telle mesure de police s’apprécie au regard de sa finalité.

Tout d’abord, une telle mesure doit avoir pour objectif le maintien de l’ordre public. Or, par principe, les spectacles d’animaux ne méconnaissent pas cet ordre public.

Également, l’article L. 2212-2 du CGCT vise deux situations pouvant intéresser l’activité des cirques présentant des animaux :

« (…) 3o Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics;

(…) 7o Le soin d’obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces; ».

Ces deux hypothèses ne représentent qu’une infime possibilité pour lesquelles une mesure de police administrative pourrait intervenir en vue du maintien de l’ordre public.

Il convient de rappeler également que l’édiction d’un arrêté d’interdiction ne peut légalement intervenir que lorsque la mesure s’avère nécessaire, proportionnée et adaptée. Les interdictions générales et permanentes sont à proscrire.

  • Conseil d’État 19 mai 1933 n°17413 Benjamin ;

Quoi qu’il en soit, en dehors de cette finalité de maintien de l’ordre public, une telle mesure d’interdiction serait illégale et pourrait ainsi être annulée par une juridiction administrative.

Il est également possible de trouver des arguments juridiques en vue d’interdire l’activité des cirques dans le Code de l’environnement.

Notamment, les dispositions législatives et réglementaires du Code de l’environnement relatives aux établissements détenant des animaux d’espèces non domestiques (chapitre III du titre 1er du livre IV du Code de l’environnement) visent quatre objectifs :

  • garantir le bien-être des animaux captifs,
  • garantir la sécurité des personnes,
  • encourager indirectement la sauvegarde de la faune sauvage en incitant les responsables de ces établissements à mettre en œuvre une saine gestion de leur effectif, afin d’éviter au maximum le prélèvement dans la nature et de conserver un patrimoine génétique,
  • valoriser la fonction de responsable chargé de l’entretien des animaux ;

C’est le préfet de département qui délivre les certificats. Ils ont pour objet de vérifier que les personnes bénéficiaires de ces autorisations sont en mesure d’assurer l’entretien courant des animaux, leur sécurité, leur santé, la qualité des installations, la protection de la nature, la sécurité des personnes et la maîtrise des activités d’élevage.

Si ces conditions ne sont plus remplies, alors le Maire peut interdire l’installation du cirque ou, si celui-ci est déjà installé, la tenue des spectacles.

De même, l’article L.214-12 du Code rural et de la pêche maritime fixe les conditions de transport des animaux notamment détenus par des cirques.

L’article L.214-14 de ce code impose des obligations aux Maires. Ainsi il est prévu « Les Maires veillent à ce que, aussitôt après chaque tenue de foires ou de marchés, le sol des halles, des marchés, des champs de foire, celui des hangars et étables, des parcs de comptage, la plate-forme des ponts à bascule et tous autres emplacements où les bestiaux ont stationné ainsi que les lisses, les boucles d’attachement et toutes parties en élévation qu’ils ont pu souiller, soient nettoyés et désinfectés ».

Ces textes sont autant d’arguments pouvant justifier l’interdiction d’un cirque de s’installer sur le territoire d’une commune.

Sur le plan international on peut se référer à la Convention de Washington du 3 mars 1973 sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, ouverte à la signature à Washington jusqu’au 30 avril 1973 et après cette date, à Berne jusqu’au 31 décembre 1974.

Cette convention est entrée en vigueur en France par son intégration en droit interne par le décret n° 78-959 du 30 août 1978 portant publication de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction.

Cette convention a été complétée par un règlement européen du 9 décembre 1996 n°338/97 qui a ajouté de nouvelles dispositions en actualisant notamment les connaissances scientifiques acquises et en adoptant des mesures de contrôle du commerce plus strictes aux frontières externes de la Communauté Européenne devenue l’Union Européenne.

La possession et le commerce d’animaux rares ou en voie de disparition ne sont pas par principe interdits. Il est toutefois rigoureusement encadré.

Si un cirque est en parfaite conformité avec l’ensemble des lois et règlements, alors, l’interdiction ne pourra pas légalement intervenir.

En l’état du droit, toute interdiction qui n’aurait pas pour objectif de sanctionner un cirque méconnaissant les obligations pesant sur lui serait illégale.

Il convient d’attirer l’attention des décideurs publics sur les conséquences d’une mesure de police administrative illégale.

En effet, si une mesure de police illégale était édictée, elle serait de nature à engager la responsabilité de la commune en raison du préjudice que son illégalité aurait causé au Cirque.

  • Conseil d’État 26 janvier 1973 n°84768 Ville de Paris c/ Driancourt ;

En réalité, faute d’une loi interdisant par principe l’activité des cirques ayant recours aux animaux, les Maires ne disposent que de peu d’arguments juridiques afin d’interdire l’installation d’un tel établissement sur le territoire de leur commune.

En conclusion, les déclarations de la mairie de Paris apparaissent davantage comme un vœu pieux, et ne devraient être suivies que de peu d’effets, sauf à risquer d’entacher d’illégalité ses décisions. En revanche, sur le plan politique il s’agit d’un message fort, directement envoyé au législateur qui pourrait ainsi souhaiter que la France rejoigne la longue liste des États interdisant l’utilisation d’animaux pour des représentations. Quoi qu’il en soit, pour le moment, il n’y a pas de quoi en faire tout un cirque !

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