Au nom du principe de laïcité, l’abaya est interdit dans l’espace scolaire, lequel constituerait un signe religieux ostentatoire.
En effet, l’abaya, ce vêtement traditionnel porté dans les pays musulmans défrayait la chronique depuis quelques semaines. Au point que le ministre de l’éducation, Gabriel ATTAL, s’est cru obligé de multiplier les sorties médiatiques afin de faire “bloc“.
Parce que ce sujet est juridiquement très mal compris, y compris par les juristes, il nous apparait nécessaire de rappeler quelques règles élémentaires.
I- Le principe de laïcité s’oppose-t-il à l’abaya ?
Tout d’abord, l’abaya ne porte pas atteinte au principe de laïcité dans l’espace public.
En rappelant ceci, il est certain que le principe de laïcité est mal compris par la majorité de la population. En outre le principe de laïcité est rappelé dans l‘article 1er de la constitution.
Ainsi, dans l’esprit populaire la laïcité est vu comme étant l’interdiction des signes religieux dans l’espace public. Pis encore, il reviendrait à la neutralisation de la religion dans l’espace public. En d’autres termes, la religion, quelle qu’elle soit, n’aurait pas sa place.
Cela est faux !
En effet, la laïcité peut être définie comme la neutralité de l’Etat vis à vis des religions.
C’est cette neutralité qui permettrait la liberté de religion, de conscience et l’égalité de tous devant la loi.
Ainsi, l’abaya ne porterait pas une atteinte au principe de laïcité tant que l’Etat n’accorde ou ne retire aucun droit à ceux qui le porterait dans un but religieux.
Bien entendu, cette liberté n’est pas absolue.
II- La liberté religieuse de porter l’abaya est elle contraire au principe de laïcité ?
Encore une fois, la réponse est non.
En effet, la liberté religieuse est également protégée par des règles constitutionnelles et les conventions internationales. Ainsi l’article 10 de la DDHC protège cette liberté.
En outre, la liberté religieuse implique la liberté de croyance de culte et de ne pas avoir de religion. Cette liberté doit être garantie par l’Etat.
La loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État instaure la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Cette loi rappelle que l’Etat ne “reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte“.
Ainsi, l’Etat doit protéger les citoyens dans l’exercice de leur culte mais également leur permettre de l’exercer lorsqu’un citoyen est retenu. C’est pourquoi les aumôniers dans les prisons sont prévus par l’Etat.
Cependant, des limites existent et peuvent s’imposer au port de l’abaya.
III- Les limitations de l’abaya en cas de trouble à l’ordre public :
Tout d’abord, comme toute liberté religieuse celle ci peut être limitée par la loi ou pour des raisons d’ordre public.
Ainsi, dès lors que la manifestation d’une religion est susceptible de porter atteinte à l’ordre public, celle ci peut être interdite.
En outre, rappelons que le prosélytisme n’est pas interdit.
En l’absence de définition juridique, le prosélytisme constitue le déploiement de zèle afin de rallier à sa cause des personnes.
En revanche, celui ci sera interdit s’il dégénère en abus notamment en harcèlement.
IV- La limitation de l’abaya au sein des établissements scolaires est elle possible ?
En réalité, la réponse n’est pas si aisée. Tout d’abord regardons ce que la loi dit (A) puis les difficultés qu’elle relève (B).
A) L’interdiction des signes religieux ostentatoires au sein des établissements scolaires :
C’est essentiellement à l’école que l’abaya semble poser problème. En effet, ce dernier serait contraire à la loi du 15 mars 2004.
Ainsi l’article L.141-5-1 du code de l’éducation pose le principe suivant.
” Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève”.
Avant la loi du 15 mars 2004, le port de signe religieux n’était pas interdit dès lors qu’il ne s’agissait pas de prosélytisme au sein de l’établissement scolaire.
- Conseil d’Etat Avis 27 novembre 1989 n°346893 ;
Ainsi le législateur a du intervenir pour interdire les “signes religieux ostentatoires”.
En outre, il n’est pas nécessaire que le signe soit porté dans une volonté de revendiquer sa religion. Il suffit que ce signe le rende identifiable immédiatement à une religion.
En conclusion, le véritable point est de savoir si l’abaya constitue un signe religieux ostentatoire.
B) L’abaya est il un signe religieux ostentatoire ?
En effet, la loi évoque les signes religieux ostentatoires, c’est à dire un signe mis en valeur de manière excessive. Cependant, elle n’en dresse pas une liste. Il est donc nécessaire d’apprécier au cas par cas.
Tout d’abord, l’abaya est défini comme un vêtement traditionnel féminin. Il n’implique pas de couvrir le visage et les mains. De même il ne s’agirait pas d’un commandement coranique. En d’autres termes, l’abaya n’est pas un vêtement religieux.
En revanche, il est principalement porté dans les pays musulmans. Ainsi, cette robe peut s’apparenter à un vêtement religieux.
Cependant, l’abaya sera un signe religieux ostentatoire si son port permet d’identifier une personne à une religion.
En conclusion, dès lors que les pouvoirs publics ont identifié ce vêtement comme se rattachant à une religion il devient un signe ostentatoire interdit au sein des établissements scolaires. En outre, cette interdiction pourrait s’appliquer quand bien même la personne qui le porte ne le fait pas dans un but prosélytiste.