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Le régime d’autorisation préalable de l’instruction en famille

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« L’éducation c’est la famille qui la donne ; l’instruction, c’est l’Etat qui la doit (…) ces deux lumières se complètent l’une par l’autre. » disait Victor HUGO.

Monsieur Jules FERRY a permis de rendre l’école “obligatoire, gratuite et laïque”. Ce principe n’a jamais été démenti depuis les lois de 1881.

Cependant, l’instruction en famille n’est qu’une modalité du droit à l’instruction. Il s’agit d’une faculté qui peut être encadrée par le législateur.

C’est ainsi que nous sommes passés d’un régime de déclaration préalable à un régime d’autorisation préalable.

I- Le droit à l’instruction : un droit particulier

Ce droit est rappelé par de nombreux textes (A) et précisé par la jurisprudence (B).

A) Le droit à l’instruction reconnu par les textes internationaux, constitutionnels et législatifs :

L’instruction obligatoire a pour objectif de « garantir, d’une part, l’acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d’autre part, l’éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d’exercer sa citoyenneté. » (Article L131-1-1 du Code de l’Education)

L’article L111-1 du Code de l’éducation proclame un principe de devoir d’instruction, que l’on retrouve au sein de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 par l’Etat ainsi que le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui écrit que « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ».

Le principe du droit à l’éducation et l’accès de tous à l’instruction est inscrit au sein du premier article du Code de l’Education qui écrit que « Le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté. » (Article L. 111-1 alinéa 5)

Cette instruction obligatoire est encadrée par l’article L131-1 et suivants du Code de l’éducation et dispose depuis l’entrée en vigueur de la loi pour une école de la confiance que « L’instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l’âge de trois ans et jusqu’à l’âge de seize ans. »

B) Le droit à l’instruction précisé par la jurisprudence constitutionnelle :

L’instruction en famille étant une particularité française, c’est surtout la jurisprudence du conseil constitutionnel qui en fixe les contours.

Le principe de liberté d’enseignement est un des corollaires du droit à l’instruction en famille.

Celui-ci a notamment été reconnu par le Conseil Constitutionnel, dans sa décision 77-87 du 23 novembre 1977.

Le Conseil d’Etat a jugé, dans sa décision du 19 juillet 2017, Association Les enfants d’abord, n°406150 que «  Le principe de la liberté de l’enseignement, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, implique la possibilité de créer des établissements d’enseignement, y compris hors de tout contrat conclu avec l’Etat, tout comme le droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille. »

Il existe ainsi un droit à bénéficier de “l’instruction en famille”. Cependant, ce droit n’est pas absolu.

II- L’instruction en famille : d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation :

L’histoire de l’école à la maison est celle d’une progressive restriction.

A) L’encadrement progressif de l’école à la maison :

Le nombre d’enfants instruits à la maison est en hausse. Ainsi on comptait un peu plus de 35 000 enfants faisant école à la maison en 2017. En 2020 ce chiffre était passé à plus de 50 000 élèves en 2020.

C’est la raison pour laquelle l’éducation nationale a renforcé le système de contrôle de ce dispositif d’enseignement.

  • Un premier encadrement :

Déjà par une loi du 26 juillet 2019 « une école de la confiance », l’instruction en famille a vu les modalités de son contrôle renforcées

On constate différentes dynamiques concernant la loi pour une école de la confiance :

  • L’abaissement de six à trois ans de l’âge de l’instruction obligatoire ;
  • Le renforcement du contrôle de l’instruction dispensée en famille ;

Le Conseil d’Etat a été saisi en ce sens le 22 octobre 2018 dudit projet de loi.

Le Conseil d’Etat recense notamment le fait que si la pratique des Etats diffère sur l’instruction à domicile, l’article 2 du protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique pour ledit Etat « le droit d’instaurer une scolarisation obligatoire, qu’elle ait lieu dans les écoles publiques ou au travers de leçons particulières de qualité et que la vérification et l’application des normes éducatives fait partie intégrante de ce droit. »

  • CEDH, décision du 6 mars 1984, Famille H. c. Royaume-Uni, n°10233/83)

En d’autres termes, les Etats ont une marge d’appréciation leur permettant de juger eux-mêmes les modalités pratiques de l’instruction des enfants.

Le législateur français l’a bien compris. L’article L.131-2 du Code de l’éducation énonce expressément « L’instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix. ».

  • Un second encadrement :

La loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite loi séparatisme, a modifié cet article.

Cette loi entrera en vigueur à partir de la rentrée 2022.

Dorénavant cet article indique : « L’instruction obligatoire est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés. Elle peut également, par dérogation, être dispensée dans la famille par les parents, par l’un d’entre eux ou par toute personne de leur choix, sur autorisation délivrée dans les conditions fixées à l’article L.131-5. »

Dès lors, le régime envisagé de manière antérieure, guidée par le principe de liberté de l’instruction, va être réduit à un régime dérogatoire.

Cependant, l’instruction en famille se trouve au centre de deux principes. D’une part, la liberté d’enseignement. D’autre part, le droit à l’instruction de chaque enfant.

B) L’évolution du régime juridique de l’instruction en famille :

  • Avant la rentrée 2022 : un régime de déclaration préalable

L’instruction en famille était soumise, comme chaque inscription au sein d’un établissement d’enseignement public ou privé, d’une inscription prenant la forme d’une déclaration annuelle d’instruction en famille auprès du maire et à l’autorité de l’Etat en matière d’éducation d’après l’article L131-5 du Code de l’éducation.

Cette obligation de déclaration s’appliquait à compter de la rentrée scolaire de l’année civile, dès lors que l’enfant atteignait l’âge de trois ans.

Il s’agissait d’une déclaration, laquelle était suffisante pour débuter.

Des contrôles étaient bien entendues réalisées au cours de l’année pour s’assurer des progrès pédagogiques des enfants.

  • Après la rentrée 2022 : un régime d’autorisation préalable :

Le nouvel article L131-5 du Code de l’éducation prévoit une transformation de la déclaration annuelle en une réelle autorisation.

Le premier alinéa disposera désormais « Les personnes responsables d’un enfant soumis à l’obligation scolaire définie à l’article L. 131-1 doivent le faire inscrire dans un établissement d’enseignement public ou privé ou bien, à condition d’y avoir été autorisées par l’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation, lui donner une instruction en famille. »

La nouvelle rédaction de l’article L131-5 du Code de l’éducation a été validée par le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 23 août 2021, n°2021-823 DC.

Le Conseil Constitutionnel rappelle que « (…) L’instruction primaire est obligatoire … elle peut être donnée soit dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie», selon l’article 4 de la loi du 28 mars 1882 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire.

Il résulte cette loi que le législateur n’a fait de l’instruction en famille qu’une modalité de mise en œuvre de l’instruction obligatoire.

Ainsi il ajoute que l’instruction en famille n’est pas une composante de la liberté de l’enseignement mais une modalité de mise en œuvre de l’instruction obligatoire.

Ce raisonnement est très critiquable car dans la célèbre décision du Conseil Constitutionnel du 16 juillet 1971, consacrant l’existence des principes fondamentaux reconnus par les lois de la république avait censuré une loi qui souhaitait faire passer le principe de la déclaration préalable de la constitution des associations à un régime d’autorisation préalable.

Le raisonnement était tout à fait transposable à la loi modifiant l’instruction en famille.