
De la démesure du confinement
L’expression française « On n’écrase pas une mouche avec un marteau » caractérise probablement bien la situation dans laquelle la France se retrouve face à l’épidémie de Covid-19.
Tout d’abord, la question des pandémies est-elle nouvelle ? Bien entendu, la réponse est négative. Et il n’est pas besoin de remonter bien loin dans le temps pour découvrir de nombreux rapports établis par des autorités sanitaires françaises dans le cas de virus comparables à celui qui nous frappe actuellement.
Ainsi l’Institut de Veille Sanitaire Français avait établi en 2003 au sujet du SRAS un rapport que vous pourrez consulter ici.
Ce rapport soulignait les carences de la France pour faire face à une potentielle pandémie et préconisait la mise en place d’un certain nombre de mesures. Nos gouvernants ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas !
Toutefois, tout le monde connait l’histoire et rien ne sert de tirer sur l’ambulance. En l’absence de mesures efficaces dans l’anticipation d’une crise sanitaire, nos gouvernants ont pris des mesures drastiques afin d’éteindre l’incendie.
C’est dans ces conditions que le gouvernement a instauré le confinement par le décret du 16 mars 2020 puis du 23 mars 2020 en application de l’état d’urgence sanitaire promulguée le même jour. Dans la même logique il a été décidé d’une fermeture administrative générale et absolue à l’encontre de tous les commerces recevant du public et jugés non essentiels.
Il s’agit de mesures de police administrative dont les conséquences liberticides sont indiscutables.
Le confinement a réduit à peau de chagrin la liberté d’aller et de venir, le droit de propriété, le droit au respect de la vie familiale et privée, la liberté de réunion, la liberté de manifestation, la liberté d’entreprendre, le droit de vote et de manière générale a remis en cause le fonctionnement démocratique de nos sociétés. Elle se devait donc d’être par nature la plus courte possible.
La question que l’on doit se poser est la suivante : le confinement constitue-t-il une mesure de police administrative proportionnée dans le cas d’une pandémie avérée ?
Tout d’abord, on relèvera que le confinement est une mesure par nature disproportionnée (I). Cette disproportion est manifeste en raison des conditions dans lesquelles elle a été pratiquée en France et ce, malgré l’existence d’une pandémie avérée (II).
I- La non-proportionnalité naturelle du confinement :
Le principe de proportionnalité est un principe cardinal du droit public. Tous les étudiants en droit découvrent très rapidement la célèbre jurisprudence du Conseil d’État « Benjamin » qui rappelle que la « la liberté est la règle, la restriction de police l’exception ».
Parce qu’une mesure de police administrative porte atteinte à une liberté, elle doit toujours être nécessaire, justifiée et proportionnée[1].
L’instauration du confinement doit interroger le citoyen qui ne doit pas se résoudre à l’accepter sans discuter.
En effet, le confinement est inspiré de régimes peu démocratiques pour ne pas dire autoritaires. La question de sa légitimité interroge nécessairement. Ensuite, même quand ces régimes mettent en place le confinement, ils ne le font pas avec autant de vigueur qu’en France.
C’est ainsi que la Chine, qui ne brille déjà pas pour son respect des libertés, n’a confiné que la région de Wuhan et ses 55 millions d’habitants.
En réalité aucune démocratie n’a utilisé dans le passé cette méthode pour lutter contre une pandémie[3].
Également, rappelons que le confinement n’empêche pas la contamination puisque sans identifier les porteurs du virus et notamment les porteurs sains, cette mesure peut revenir à placer sous un même toit des personnes contaminées asymptomatiques et des personnes saines.
En d’autres termes, si plusieurs personnes saines sont mélangées avec une personne contaminée, après quelques jours passés ensemble, elles seront toutes contaminées !
L’OMS, dès le 30 Janvier 2020 émettait un certain nombre de mesures à prendre pour endiguer la pandémie, lesquelles sont :
- un dépistage précoce et systématique de la population ;
- isolement et mise en quarantaine systématique de tous les nouveaux arrivants sur le territoire ;
- Effectuer des dépistages au départ dans les aéroports et les ports internationaux dans le but de détecter à un stade précoce les voyageurs présentant des symptômes en vue d’une évaluation plus approfondie et d’un traitement, tout en réduisant au minimum les perturbations du trafic international ;
- Assurer la résilience du système de santé et protéger le personnel de santé ;
- Prendre les mesures de prévention et de réduction de la propagation de l’infection adaptés à l’évolution de la situation.
Les recommandations se basent sur une analyse scientifique mondiale apparaissent réalisables et efficaces pour endiguer l’épidémie.
Il s’avère qu’en réalité le confinement n’a été mis en place qu’en raison de l’impossibilité pour l’État de disposer de masques, de blouses, de dépistages et de manière générale de capacité d’accueil suffisante dans les hôpitaux.
Face à cette situation chaotique de nombreux requérants ont saisi le Conseil d’État afin que ce dernier enjoigne à l’État de prendre les décisions qui s’imposaient.
Malheureusement, le Conseil d’État n’a eu d’autre choix que de rejeter toutes ces demandes tantôt sur la question du confinement total de la population[4], tantôt sur l’organisation de dépistage à destination des personnels soignants[5], ou encore, sur le renforcement des mesures de protection pour les personnes sans abri[6].
Le motif principal reposait sur l’absence de moyens à disposition de l’État. À l’impossible nul n’est tenu !
Face à ce constat d’impuissance publique, il est patent que le confinement ne pouvait pas être considéré comme la mesure adéquate mais comme la seule mesure possible.
Il a même été indiqué que « Le confinement n’est pas la bonne stratégie, c’est la moins mauvaise des stratégies qui étaient possibles en France, à la mi-mars 2020. Évidemment, nous savions bien que ce n’est pas celle choisie par certains pays asiatiques. La Corée s’est en effet appuyée sur une très large utilisation des tests diagnostics et de masques, puis sur l’isolement des seuls malades. C’est une stratégie qui est très valable : sur le papier, c’est même cela qu’il faut faire. Mais toute la question est de savoir si cela est faisable en France aujourd’hui. La réponse est non. Aujourd’hui, nous avons la capacité de faire passer 5 000 à 8 000 tests par jour, mais pas davantage. Nous ne pouvons pas faire passer plusieurs dizaines de milliers de tests par jour. Pour faire ces tests, il faut en effet disposer d’un certain nombre de produits dont une partie nous vient de Chine et des États-Unis[7] ».
C’est ainsi qu’après avoir appelé les électeurs à se présenter aux urnes le 15 mars 2020, le gouvernement a été contraint de se résoudre à confiner sa population à compter du 17 mars à midi.
Il ne peut échapper au constitutionnaliste que ces mesures sont intervenues à la seule initiative du pouvoir exécutif, lequel ne pouvait pas agir dans le domaine de la loi sans habilitation législative expresse et cantonnée.
On ne reviendra pas non plus sur les conditions dans lesquelles la loi sur l’état d’urgence sanitaire a été votée. Les débats, ou plutôt l’absence de débats, ont été réalisés à la hâte par une minorité de parlementaires votant dans l’urgence, pour ne pas dire la précipitation. Cette loi aujourd’hui est entrée dans le droit commun, notamment par sa codification dans le code de la santé publique.
Il résulte de tous ces éléments que le confinement n’a pas brillé par son respect de la Démocratie et qu’il contient en lui, de par sa nature, les germes d’un État autoritaire.
En conséquence, une telle mesure ne peut être considérée proportionnée, et ne peut être admise par principe dans une Démocratie digne de ce nom même dans des circonstances exceptionnelles.
II- La non-proportionnalité manifeste du confinement :
Plusieurs éléments ne pourront que démontrer le caractère manifestement disproportionnée du confinement, et ce, pour les raisons qui suivent.
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L’existence de moyens plus efficaces dans la lutte contre la pandémie :
Le confinement est un aveu d’échec, une sorte de pratique de la terre brulée. De là à dire que le remède est pire que le mal, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas.
De plus, le confinement ne permet pas de mettre fin à la pandémie mais de la contenir, la ralentir. Elle doit donc être jugulée avec d’autres mesures comme l’utilisation de tests, la mise en place de gestes barrière et l’utilisation de masques.
Surtout, des experts considèrent que la seule utilisation massive de ces tests et masques, couplée à un minimum de discipline individuelle, suffirait à juguler la pandémie sans porter atteinte aux libertés publiques (« In one Italian town, we showed mass testing could eradicate the coronavirus »[8]).
Comme nous le savons, nous ne disposions de rien de tout cela. Il convient de se demander si le confinement a permis de laisser le temps à l’État pour se fournir et mettre enfin en œuvre les recommandations de l’OMS.
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Une régionalisation du confinement :
L’esprit jacobin et centralisateur de la France a conduit le gouvernement à confiner tout un pays alors que l’épidémie ne sévissait pas de la même manière selon les régions.
En effet, le Grand Est a été l’une des régions les plus touchées et un confinement, qui n’est jamais la bonne décision, aurait pu se comprendre au regard de cette seule région[9].
Pourquoi imposer un confinement à tout un pays alors qu’en Creuse ou dans le Cher il n’était recensé aucun cas de personnes infectées par le covid-19 au sein des hôpitaux ?
Parallèlement, juste à côté de chez nous, l’Allemagne grâce au caractère fédéral de son organisation étatique laissait les Länder (équivalent de nos régions) décider en matière de santé publique, avec le succès que l’on sait[10].
Le plan de déconfinement qui est organisée par département ne peut que finir par convaincre de la nécessité de n’envisager cette mesure que de manière locale et non nationale.
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Une spécialisation du confinement :
Très rapidement il est apparu que la maladie était fatale pour les personnes âgées de plus de 70 ans et celles présentant certaines pathologies graves. Une liste a même été publiée dès le 13 mars 2020 sur le site internet du ministère des solidarités et de la santé[11].
Parallèlement, c’est parce qu’une grande partie de la population est asymptomatique, parce que la maladie est très peu létale, qu’elle se propage extrêmement facilement. Il est donc acquis que cette maladie, qui a un faible taux de létalité, devient mortelle principalement à l’égard des personnes affaiblies[12].
Dans ces conditions pourquoi confiner toute une population sans tenir compte de ces éléments dont nous avions connaissance dès le mois de mars ?
Alors que nos personnes âgées mouraient seules dans nos EPHAD dans la plus grande indifférence, sans soins et sans adieu en raison des mesures imposant une mise en bière immédiate, le confinement pouvait il s’expliquer à l’égard du reste de la population qui, n’étant toujours pas testée, a probablement déjà été contaminée sans en ressentir la moindre gêne ?
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Les dommages collatéraux causés par le confinement :
Alors que l’on ne pourra jamais savoir combien de vies auront été sauvées grâce au confinement, il convient de garder en tête les dommages qu’une telle situation anxiogène cause.
En effet, le confinement total et général comme il a été pratiqué, comporte en lui-même des risques réels et aussi graves que celui contre lequel il prétend lutter.
En raison des fermetures administratives à l’égard de commerces jugés non essentiels, le confinement a d’ores et déjà des conséquences économiques graves et irréversibles. Après la crise sanitaire voilà qu’arrive la crise économique.
Les faillites, le chômage, le déclassement social constituent une catastrophe sanitaire indirecte mais dont les conséquences sont plus socialement acceptables. Ces situations entrainent avec elles la misère, la faim, les maladies induites, le suicide.
D’autres effets induits apparaitront comme la déscolarisation d’un grand nombre d’enfants, les violences faites aux femmes et enfants ainsi que la santé de la population qui a du se limiter durant le confinement aux seules urgences médicales ne pouvant être différées.
Quid des dépistages précoces des cancers, des AVC, des crises cardiaques ?[13] .
Enfin, qu’en est-il de la santé mentale d’une partie fragile de la population qui vivant terrée dans la peur depuis plus de six semaines finira soit par se suicider soit par tomber en dépression.
Si le droit administratif est un droit exorbitant instauré afin de permettre la satisfaction de l’intérêt général, alors on est en droit de se demander si le confinement n’a pas eu l’effet de sacrifier l’intérêt général au profit d’intérêts privés.
De par ses conséquences manifestement excessives sur l’ensemble de la société, cette mesure ne peut qu’apparaître manifestement disproportionnée.
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La durée excessive du confinement :
Le confinement aura duré, si la date du 11 mai est celle retenue, 55 jours. Le confinement est une mesure par nature liberticide que l’on peut qualifier d’assignation à résidence.
Il devait permettre initialement de limiter l’afflux de nouvelles personnes contaminées et ainsi désengorger les hôpitaux. Parallèlement il devait laisser le temps aux autorités de se réorganiser pour disposer de moyens supplémentaires pour lutter contre le virus (masques, blouses, gel hydroalcoolique, développement de tests etc…).
Ce caractère liberticide semble pourtant oublié par nos gouvernants qui l’ont prolongé à deux reprises (31 mars, 14 avril) et qui envisagent même de le réinstaurer si les français « se comportent mal ».
Il faudrait pourtant se poser d’autres questions. Ou sont les masques ? Comment les grandes surface ont elle réussit à s’approvisionner puis à commercialiser les masques ? Allons-nous payer deux fois nos masques, une fois avec nos impôts en les ayant importés au prix fort, une seconde fois en étant contraint de les acheter en grande surface quand ils seront devenus obligatoires ? Ou sont les tests ? Des traitements préventifs sont-ils envisageables ? Des traitements curatifs existent-ils ? Les capacités d’accueil des hôpitaux ont-ils augmenté ? Combien d’hôpitaux de campagne ont été installés ?
Ce n’est qu’en raison d’une absence de réponse à ses questions que ce confinement n’a que trop duré.
Certains soutiendront que les circonstances exceptionnelles impliquent d’assouplir le principe de légalité.
On pourra les inviter à relire la décision du Conseil d’État Dame Dol et Laurent qui a consacré la théorie des circonstances exceptionnelles et qui semble aujourd’hui être dévoyée afin de justifier tout et n’importe quoi !
Cette jurisprudence n’a pas été créée afin de contourner la légalité, mais bien afin de la concilier avec la nécessité d’assurer la continuité des services publics.
L’analyse de cette décision nous permet de découvrir que la mesure querellée ne pourrait être assimilée ni sur le fond ni sur la forme aux mesures de confinement prises.
Pour rappel, il s’agissait d’un arrêté préfectoral interdisant certaines activités aux filles de joies aux alentours d’un fort militaire pendant la première guerre mondiale. Cette théorie des circonstances exceptionnelles a permis de régulariser l’incompétence matérielle du préfet qui ne pouvait pas prendre légalement une telle mesure, mais qui devait agir en raison des circonstances particulières.
À cette époque nous étions en guerre et l’ensemble de la population était confrontée à un ennemi visible qui fera de nombreuses victimes tant civiles que militaires, et ce, quel que soit leur âge ou leur état de santé.
Les circonstances exceptionnelles peuvent assouplir la légalité d’une décision administrative mais ne peuvent pas lui permettre de s’en affranchir.
Or, comme nous l’avons vu, cette mesure ne peut être considérée comme permettant d’assurer la continuité des services publics. En effet, quid du fonctionnement saccadé des services postaux ? Quid du service public de la justice ?
Il n’aura échappé à aucun acteur du service public de la justice les extrêmes fragilités de notre système judiciaire et l’indifférence du gouvernement pour ce qui constitue pourtant l’un des piliers de notre État de droit. Depuis le mois de mars ce service est quasiment à l’arrêt et aucune date de réouverture n’a été fixée. Il n’a même pas fait l’objet d’un mot lors de l’allocution télévisée du Premier ministre le 28 avril 2020.
Quid des transports et notamment des transports aériens qui peuvent être considérés comme un secteur stratégique d’où l’aide apportée par l’État à Air France ?
En réalité, le confinement ne peut être régularisé par la théorie des circonstances exceptionnelles dès lors qu’il a conduit à l’arrêt des services publics tout en étant extrêmement dommageable pour l’intérêt général.
A l’heure ou un projet de loi est discutée pour exonérer de toute responsabilité pénale les élus, on peut se demander si le confinement n’a pas été pris afin de minimiser la responsabilité de nos élites et donc de défendre leurs intérêts privés en n’hésitant pas à sacrifier toute une partie de la population pour plusieurs années.
Alors que la France est une des championnes du monde en matière de fiscalité, elle se retrouve à confondre le budget de la santé avec une cagnotte litchi en comptant sur la générosité de grands donateurs[14]. On croit rêver !
Si le coronavirus est une mouche, ce n’est pas un marteau que le gouvernement a utilisé, mais un bulldozer. Un bulldozer qui emporte tout avec lui, la démocratie et l’État de droit avec.
[1] Conseil d’État 19 mai 1933 N° 17413 17520 ;
[3] http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2020/04/30/confinement-le-debat-interdit/
[4] Conseil d’État 22 mars 2020 N°439674 ;
[5] Conseil d’État 28 mars 2020 N°439693, 439726, 439765 ;
[6] Conseil d’État 2 avril 2020 N°439763 ;
[7] https://www.la-croix.com/France/Jean-Francois-Delfraissy-Nous-preconisons-tests-massifs-sortie-confinement-2020-03-20-1201085157
[8] https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/20/eradicated-coronavirus-mass-testing-covid-19-italy-vo
[9] https://www.lesechos.fr/pme-regions/grand-est/coronavirus-le-grand-est-retient-son-souffle-1188846
[10] http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2020/04/30/confinement-le-debat-interdit/
[11] https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/article/coronavirus-qui-sont-les-personnes-fragiles
[12]https://www.la-croix.com/France/Jean-Francois-Delfraissy-Nous-preconisons-tests-massifs-sortie-confinement-2020-03-20-1201085157
[13] http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2020/04/30/confinement-le-debat-interdit/
[14] https://www.lefigaro.fr/conjoncture/gerald-darmanin-cette-crise-est-bien-plus-forte-que-celle-de-2008-20200330