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L’impuissance publique face au covid-19

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« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux » disait Benjamin Franklin.

Cette phrase n’a jamais été autant d’actualité face aux mesures de confinement général mises en place par le Gouvernement dans le cadre de la lutte et de la prévention de la pandémie de coronavirus.

Apparut à la fin de l’année 2019 dans la région de Wuhan en Chine, ce virus dénommé SARS-CoV-2 ou COVID-19 est extrêmement contagieux et cause la mort d’un grand nombre de personnes dans le monde.

L’OMS, alertée par l’expansion de ce virus indiquait dans son communiqué de presse du 30 janvier 2020 que l’on peut s’attendre dans n’importe quel pays à l’apparition de nouveaux cas exportés de Chine[1].

Dépassé par la situation en mars 2020, le Gouvernement prendra un certain nombre de décisions plongeant la France progressivement dans le confinement général de sa population.

Chaque jour le site Santé Publique France publie les chiffres actualisés des personnes contaminées en France et dans le monde, en précisant également le nombre de décès[2]. Chaque soir, le Gouvernement présente les chiffres à la télévision. Nous nous retrouvons acteurs et spectateurs d’une tragédie aussi mal écrite qu’anticipée qui aurait pu relever, il y a encore quelques temps, d’un mauvais livre de science-fiction.

On peut critiquer la forme et le fond des mesures prises par le Gouvernement. On peut tenter de rejouer le match et de dire ce qui aurait dû être fait pour éviter d’en arriver là. Ces critiques, à l’heure actuelle, n’apparaissent pas constructives et ne feront pas l’objet de développements ci-après.

Quoi qu’il en soit les mesures prises ont été présentées comme le moindre mal, afin d’éviter un engorgement des services de santé ce qui aurait conduit à une augmentation significative du nombre de décès.

Pour garantir le droit à la vie, les libertés peuvent être limitées. Sur le principe, donc, rien de nouveau sous le soleil[3].

En revanche, il s’agit d’un degré de restrictions de libertés qui n’a jamais été atteint dans nos démocraties post seconde guerre mondiale. Cela doit amener le citoyen à s’interroger sur le principe et les modalités de ces restrictions. Plus particulièrement, l’avocat, de par sa connaissance du droit, constitue le dernier contre-pouvoir face à cette frénésie règlementaire et liberticide.

C’est dans ces conditions que le cabinet est intervenu au tout début des mesures de confinement. Nous avons eu les éloges de la presse locale de midi libre et de la marseillaise[4]. Nous les en remercions encore.

Pour ces requérants, clients du cabinet, « Le mal ne triomphe que lorsque les gens de bien cessent d’agir ». Face à toutes ces mesures liberticides, une démocratie doit permettre de donner le droit aux citoyens de discuter le principe et les modalités de ces atteintes.

Accepter de telles mesures liberticides en renonçant au principe même de les discuter et de les quereller, c’est accepter la fatalité et renier les principes qui fondent nos sociétés démocratiques modernes.

Le cabinet a donc introduit dès le 26 mars 2020 un recours pour excès de pouvoir à l’encontre des décisions suivantes :

  • Le Décret du Premier ministre n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ;
  • Le Décret du Premier ministre n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 modifié par un décret du 19 mars 2020 ;
  • Le Décret du Premier ministre n° 2020-264 du 17 mars 2020 portant création d’une contravention réprimant la violation des mesures destinées à prévenir et limiter les conséquences des menaces sanitaires graves sur la santé de la population ;
  • L’Arrêté du ministre des solidarités et de la santé, pris le 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 et complété par l’arrêté du 15 mars et du 19 mars 2020 ;

Depuis la promulgation de la loi d’état d’urgence sanitaire, il est incontestable que le Premier ministre est l’autorité de principe pour prendre les mesures nécessaires à la lutte et la prévention de l’épidémie de Covid-19.

En effet, la modification des dispositions de l’article L.3131-15 du code de la santé publique, par la loi du 23 mars 2020 proclamant l’état d’urgence sanitaire, a eu pour effet de reconnaitre au Premier ministre un ensemble de pouvoirs exorbitants du droit commun.

Parallèlement un référé-liberté a été introduit le 27 mars 2020 afin de solliciter une amélioration des mesures de luttes contre la pandémie et ce, afin de limiter dans le temps l’atteinte portée à ces libertés.

Le 4 avril 2020 le Conseil d’État a rejeté la requête des requérants. Vous trouverez cette ordonnance ici.

Cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus large. En effet, depuis le début du confinement le Conseil d’État a été saisi d’un certain nombre de requêtes demandant tantôt le confinement total de la population[5], tantôt l’organisation de dépistage à destination des personnels soignants[6], ou encore, un renforcement des mesures de protection pour les personnes sans abri[7].

Toutes ces décisions, et la liste n’est pas exhaustive, ont conduit le Conseil d’État à rejeter les demandes portées devant sa juridiction sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

C’est donc un aveu d’impuissance publique qui est livré par le Conseil d’État tout au long de ses décisions.

L’ordonnance rendue le 4 avril 2020 N°439816 « Madame E et autres » n’échappe pas à la règle et amène à se poser la question suivante. Quel est l’intérêt d’un référé-liberté dans le cadre de la crise sanitaire frappant la France ?

Cet intérêt est avant tout juridique (I) mais également politique (II).

I- L’intérêt juridique indéniable du référé-liberté dans le cadre des mesures de lutte contre la pandémie

Le référé-liberté présente un intérêt certain pour les requérants (A). Cet intérêt dépasse le prétoire du juge et s’inscrit dans un mouvement juridique beaucoup plus large (B).

A) L’intérêt limité mais certain du référé-liberté 

Cette procédure est prévue à l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Il s’agit de mettre fin dans l’urgence, à une atteinte grave et manifestement illégale portée par l’administration à une liberté fondamentale.

En l’espèce, les requérants du cabinet estimaient que plusieurs libertés fondamentales étaient atteintes par les mesures prises par le Gouvernement dans le cadre du confinement.

En effet, les libertés fondamentales invoquées par les requérants ont été jugées par le passé, comme des libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Au titre de ces libertés, les requérants invoquaient le droit à la vie[8], la liberté d’aller et venir[9], la liberté du commerce et de l’industrie[10], le respect de la vie privée et familiale[11], la liberté de réunion et d’association[12].

Il n’a pas été contesté par le Conseil d’État que l’ensemble des mesures prises par le Gouvernement dans le cadre de la lutte et de la prévention du coronavirus portent atteinte à l’ensemble de ces libertés.

Les requérants demandaient par la voie de ce référé notamment :

  • La protection du personnel médical et de la population ;
  • L’organisation des funérailles des proches de victimes du Covid-19 ;
  • La protection des sans domicile fixe ;
  • L’instauration d’un couvre-feu national ;
  • L’interdiction des rassemblements de personnes ;
  • Le dépistage et le confinement des nouveaux arrivants sur le territoire ;
  • La possibilité pour les proches de rester en contact virtuellement avec les personnes hospitalisées ;
  • Instauration de mesures de rétention à l’attention des récidivistes ;

Aucune de ces demandes n’a emporté la conviction du juge. Toutefois, quelques éléments intéressants méritent d’être soulignés.

Le Conseil d’État rappelle dans son considérant n°6, sa position de principe en la matière.

Son rôle est de prendre toutes les mesures d’urgence, lesquelles doivent en principe être provisoires. Ces mesures doivent permettre d’assurer le respect des libertés fondamentales auxquelles il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Cette atteinte peut résulter tout autant de l’action que de la carence d’une autorité publique.

L’illégalité portée à cette liberté fondamentale s’apprécie au regard des moyens dont dispose l’administration et des mesures qu’elle a déjà mises en œuvre pour y remédier.

Cette position a déjà été rappelée par les récentes ordonnances rendues par le Conseil d’État dans le cadre de l’épidémie de coronavirus dont est frappée la France.

Il est possible de tirer plusieurs enseignements de la jurisprudence rendue par le Conseil d’État au regard de la pandémie de Covid-19.

En premier lieu, le Conseil d’État  ne se substitue pas à l’administration. Il ne juge pas du bien-fondé ou de l’efficacité des mesures prises par l’État. Il regarde uniquement si des mesures ont été prises, et le cas échéant, si celles-ci permettent de mettre fin à une atteinte qui serait manifestement grave et illégale.

En deuxième lieu, le Conseil d’État  reconnait que l’État est tenu à une obligation de moyen dans la lutte contre la propagation et la prévention de l’épidémie de coronavirus. En d’autres termes, l’État fait de son mieux, peu importe si cela n’est pas suffisant.

En troisième lieu, seules les atteintes graves et manifestement illégales peuvent donner lieu à des mesures par la voie du référé-liberté. Ainsi toute atteinte aux libertés fondamentales ne conduira pas le juge des référés à enjoindre au Premier ministre de renforcer le dispositif actuel. Il faut donc un degré de gravité suffisant.

En quatrième lieu, la solution donnée par le Conseil d’État doit s’apprécier à la date à laquelle il rend sa décision. Ainsi les hypothétiques atteintes futures à une liberté fondamentale ne peuvent pas être de nature à conduire le juge des référés à demander d’enjoindre au Gouvernement à ce que des mesures plus coercitives soient prises dans la lutte et la prévention du Covid-19.

En cinquième lieu, le Conseil d’État ne peut ordonner à l’État de faire plus que ce qu’il n’est en mesure de faire. A l’impossible nul n’est tenu !

Comme nous le verrons ci-après, cette décision porte un intérêt certain qui dépasse le cadre de ce litige.

B) Les répercussions du référé-liberté sur les droits des citoyens 

Les requérants demandaient la mise en place de plusieurs mesures. Deux d’entre elles méritent que l’on s’y attarde.

  • Le confinement strict des personnels soignants :

Les requérants demandaient à disposer du droit de ne pas être contaminés ni d’être contaminants pour leurs proches. Pour ce faire, et compte tenu de l’absence de moyens de l’État, le confinement strict s’est avéré la demande la plus adaptée.

En effet, comme l’a très justement rappelé le Conseil d’État par trois ordonnances du 28 mars 2020[13], l’État ne dispose pas du matériel suffisant ni des tests de dépistage en nombre pour protéger le personnel médical.

Face à cette demande de confinement strict le Conseil d’État a jugé qu’il ne pouvait pas être fait droit à ces mesures pour trois raisons :

  • L’État a mis en place différents services pour l’accueil des enfants des personnels soignants ;
  • L’État a mis en place des mesures de nature à permettre aux soignants de limiter leurs déplacements (fonds accordés aux hôpitaux pour recourir aux services de taxi) ;
  • Des mesures locales d’initiative privée et publique ont conduit à mettre à disposition des personnels soignants des logements ou la réservation de chambres d’hôtel ;

Cette ordonnance rendue le 4 avril 2020 par le Conseil d’État appelle plusieurs critiques :

  1. La protection des soignants bien qu’insuffisante n’appelle pas de solution alternative des pouvoirs publics ;
  2. Les mesures déjà mises en places ne sont pas généralisées ce qui peut conduire à des carences localisées ;
  3. L’absence d’obligation de confinement des personnels soignants laisse une marge d’appréciation à l’Administration qui peut conduire à limiter les effets du confinement ;
  4. Tous les personnels soignants ne sont pas toujours informés de ces mesures et n’oseront pas toujours les solliciter ;

On notera pour le lecteur attentif, que les personnels soignants à l’origine de cette requête ont obtenu avant le jour de l’audience des solutions de relogement de la part des préfectures. Il n’est pas certain que leurs causes auraient été entendues sans action de leur part.

  • La fin de vie des personnes décédées ou suspectées d’être décédées du Covid-19 :

Le 13 avril 2020 le Président de la République a indiqué « Je souhaite aussi que les hôpitaux et les maisons de retraite puissent permettre d’organiser pour les plus proches, avec les bonnes protections, la visite aux malades en fin de vie afin de pouvoir leur dire adieu ».

Cette annonce peut apparaître satisfaisante sur le principe, mais ne réparera pas la peine de ceux qui n’ont pu revoir leurs proches depuis le début de l’épidémie avant et après leur décès.

Beaucoup des victimes du Covid-19 sont mortes seules, sans soins et sans adieux !

C’est dans ce cadre qu’il a été sollicité, par la voie du référé-liberté, à ce qu’un certain nombre de mesures soient mises en place afin que les hôpitaux et les EHPAD ne décident plus arbitrairement de l’absence de visite et de la mise en bière immédiate sans possibilité de présenter la personne décédée aux proches.

Le Conseil d’État a rappelé ainsi que si les mesures de confinement étaient de nature à empêcher les proches d’assister aux funérailles d’une personne décédée, il s’agirait alors d’une atteinte grave et manifestement illégale.

En revanche, il ne s’est pas prononcé sur les possibilités pour les proches de rendre une dernière visite à une personne décédée, ni sur celles de revoir leur visage avant la cérémonie, balayant ainsi la question de la mise en bière immédiate instaurée par le décret n° 2020-384 du 1er avril 2020.

Ce recours aura probablement permis d’alerter, par l’intermédiaire du prétoire du juge, les pouvoirs publics sur ces situations dramatiques dont les conséquences dommageables se feront ressentir durant de nombreuses années.

Quoi qu’il en soit, la défaite judiciaire ne se confond pas systématiquement avec l’insatisfaction des demandes du requérant. Parfois, intenter une action en justice, n’a pas toujours pour objectif principal d’obtenir gain de cause devant la juridiction saisie, mais s’inscrit dans une démarche beaucoup plus large.

II- L’intérêt politique indiscutable du référé-liberté dans le cadre de la lutte contre la pandémie

Cet intérêt politique repose sur deux points. Le premier permet de démontrer les limites et lacunes du confinement (A). Le deuxième permet de marquer au fer rouge les erreurs commises par l’État français dans la prévention de la lutte contre la pandémie (B).

A) La remise en cause du principe initialement incontestable du confinement général 

À titre liminaire il convient de rappeler les évidences suivantes :

  • Le confinement n’est pas une mesure de sanction mais une mesure de protection ;
  • Le confinement est une mesure inadaptée voire archaïque de lutte contre une pandémie ;
  • Le confinement est un aveu d’échec traduisant l’incapacité des pouvoirs publics dans les premières mesures qui étaient d’identifier, isoler et traiter les personnes contaminées ;

En effet, depuis le 16 mars 2020 il est rappelé à tous les États par l’OMS de « Testez, testez, testez » selon les propos du Docteur Tedros lors d’une conférence de presse à Genève. En effet, le confinement n’empêche pas la contamination puisque sans identifier les porteurs du virus et notamment les porteurs sains, cette mesure peut revenir à placer sous un même toit des personnes contaminées asymptomatiques et des personnes saines.

En d’autres termes, si plusieurs personnes saines sont mélangées avec une personne contaminée, après quelques jours passés ensemble, elles seront toutes contaminées !

De plus, il convient de rappeler que le confinement était une mesure de dernier recours visant non pas à empêcher la propagation mais bien à ralentir celle-ci afin d’éviter la saturation des services hospitaliers.

En effet, en cas de saturation, les personnes infectées ne décèdent pas à proprement parler du virus mais bien d’une détresse respiratoire provoquée par leur système immunitaire en réponse audit virus.

Ainsi, après avoir critiqué les limites du confinement, pourquoi solliciter une telle mesure au sein du référé-liberté ?

Le confinement n’est donc pas LA solution, mais UNE solution de dernier recours, visant à ralentir, et non à empêcher, la propagation du virus. En raison de son caractère extrêmement liberticide cette mesure doit être temporaire et ne durer que le temps strictement nécessaire pour éviter la saturation des services de santé.

C’est dans ces conditions, et afin de tenir compte de l’absence de moyens de l’État, que les requérants représentés par le cabinet, ont sollicité la mise en place d’un confinement strict à l’égard des personnels soignants. Cette démarche avait pour but de leur permettre de s’isoler du reste de la population afin de les protéger et de protéger leurs proches.

Cette mesure visait à permettre de briser la chaîne de la contamination, ce que n’empêche pas un confinement général et aveugle tel qu’il est conçu actuellement par les pouvoirs publics.

Afin que cette mesure puisse être efficace, et donc la plus courte possible dans le temps, il était demandé à ce qu’elle soit imposée aux personnels soignants.

Avant de s’offusquer, rappelons que le confinement n’est pas une mesure de sanction mais une mesure de protection et que les personnels soignants, tout comme le reste de la population, subissent contre leur gré les mesures actuelles dans la lutte contre la pandémie.

De plus, le confinement est la solution qui s’impose sur le plan strictement médical et sanitaire compte tenu de l’absence de moyens plus appropriés actuellement pour lutter contre la pandémie.

Exit la morale, l’économie ou la philosophie !

Cependant, humainement et moralement, une telle mesure apparaît indéniablement comme contre-productive puisque renforçant l’isolement de ces personnels soignants dont on ne peut que saluer jour après jour le courage.

En conséquence, la demande d’une telle mesure dans le cadre du référé-liberté aura eu trois intérêts :

  • Démontrer si cela n’était pas encore le cas, que le confinement est une mesure extrêmement cruelle pour une grande partie de la population ;
  • Démontrer que le confinement n’est pas la réponse absolue à la lutte contre la pandémie et que d’autres éléments sont à prendre en compte (la santé mentale, le soutien familial etc…) ;
  • Démontrer aux pouvoirs publics que des mesures de bon sens doivent être mises en œuvre pour permettre aux personnels médicaux de pouvoir volontairement s’isoler de leurs proches.

Compte tenu de l’efficacité de la mesure, puisqu’elle n’empêche pas les gens d’être contaminés et d’en mourir, il conviendra d’en contester la légalité dès lors que cette mesure sera devenue injustifiée et disproportionnée au regard des autres moyens dont disposera l’administration, à ce moment-là, pour lutter contre le virus.

Puisque nous ne pourrons pas vivre sous cloche éternellement, et parce que vivre, ce n’est pas attendre que la tempête passe, mais bien d’apprendre à danser sous la pluie, nous devrons être en mesure de lutter plus efficacement contre la pandémie avec des mesures moins liberticides.

Quoi qu’il en soit, ces référés libertés permettront aussi de pointer du doigt d’autres défaillances.

B) La caractérisation juridictionnelle des défaillances de l’État par la voie du référé-liberté

La connaissance nous arme, l’ignorance nous désarme selon Edwy Plenel.

L’intérêt de tels recours n’est pas uniquement d’obtenir de la part du Conseil d’État que des mesures urgentes soient prises. Comme nous l’avons vu, la loi ne lui confère pas le pouvoir de faire plus que ce qu’il a fait à ce jour. Sauf à considérer qu’il doive se substituer à l’administration, ce qui n’est pas le rôle d’une juridiction, son pouvoir en référé est donc extrêmement limité.

Cependant, les ordonnances rendues par le Conseil d’État sont extrêmement précieuses sur le plan probatoire.

En effet, il est possible au regard de l’analyse des décisions rendues de savoir jour après jour qu’elles étaient les capacités de l’État à faire face à la pandémie. Il n’aura échappé à personne, que cette capacité était très limitée et qu’en réalité aucune anticipation logistique n’avait été prévue.

Sans blâmer qui que ce soit, ces ordonnances doivent permettre de graver dans le marbre les défaillances établies afin que plus jamais de tels évènements ne se produisent.

Ces ordonnances doivent servir de « cahier d’erreur » afin de savoir exactement ce que nous ne devons pas faire à l’avenir dans pareille situation.

En cela, ces ordonnances engagées par les personnels soignants et les confrères qui les ont initiées sont louables et auront vocation à résonner bien plus loin que le seul prétoire de la juridiction administrative.

De plus, l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dispose « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ».

Au-delà de la seule question de l’amélioration des mesures de lutte contre la pandémie, les citoyens seront en droit pendant et après la pandémie de questionner, interroger, demander des comptes aux responsables politiques en charge de la lutte contre cette pandémie.

Il en va de la démocratie et du respect de l’État de Droit, lequel n’a pas été abrogé par l’état d’urgence sanitaire.

Des questions de responsabilité pénale, politique et administrative se poseront en leur temps. A l’heure où ces quelques lignes sont écrites, ces questions n’apparaissent pas opportunes.

Enfin, il ne peut être oublié l’aspect économique d’une telle crise sanitaire. Si initialement la fermeture des lieux recevant le public dans des établissements jugés non essentiels pour la nation pouvait apparaître justifiées, à mesure que le temps passe, c’est leur fermeture qui devient plus dangereuse que la crise sanitaire.

Il conviendra d’être extrêmement attentif aux semaines à venir puisqu’il faudra rappeler que la liberté est le principe, et l’interdiction, l’exception. Il devra en être de même pour les restaurants, hôtels, bar, boite de nuit et de manière générale, l’ensemble des établissements qui ne peuvent plus exploiter leurs fonds à ce jour. Un compromis devra être trouvé entre la santé publique et leur liberté de commerce et d’industrie.

Ces droits devront être rappelés et martelés par les avocats mais également par les magistrats soucieux de préserver l’État de droit.

Si notre société est prête à accepter un confinement général sans concevoir le droit de discuter du principe et de ses modalités, alors c’est que cette société ne mérite ni d’être libre ni d’être sauvée et finalement, n’aura ni l’un ni l’autre.


[1] https://www.who.int/fr/news-room/detail/30-01-2020-statement-on-the-second-meeting-of-the-international-health-regulations-(2005)-emergency-committee-regarding-the-outbreak-of-novel-coronavirus-(2019-ncov)

[2] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/articles/infection-au-nouveau-coronavirus-sars-cov-2-Covid-19-france-et-monde

[3] CEDH 9 juin 1998, L. C. B. c/ Royaume-Uni, no 23413/94 § 36

[4] http://www.lamarseillaise.fr/herault/faits-divers-justice/81290-des-heraultais-deposent-un-recours-au-conseil-d-etat-pour-des-mesures-plus-coercitives-de-confinement

[5] Conseil d’État  22 mars 2020 N°439674 ;

[6] Conseil d’État  28 mars 2020 N°439693, 439726, 439765 ;

[7] Conseil d’État  2 avril 2020 N°439763 ;

[8] Conseil d’État 16 novembre 2011 n° 353172 (droit à la vie)

[9] Conseil d’État  9 janvier 2001 n° 228928 (liberté d’aller et venir)

[10] Conseil d’État 28 octobre 1960, Sieur de Laboulaye n°48293 (liberté du commerce et de l’industrie)

[11] Conseil d’État 28 octobre 1960, Sieur de Laboulaye n°48293 (liberté du commerce et de l’industrie)

[12] Conseil d’État 30 mars 2007 Ville de Lyon n°304053 (liberté de réunion et d’association)

[13] Conseil d’État  28 mars 2020 N°439693, 439726, 439765